Marie-Paule Berranger

 

« Flotter sur la bourrasque »
Lettres d’amour et de guerre.

 

« En définitive j’aime, je subis, je fais l’amour.
Je ne le discute pas. »

La Révolution surréaliste n°12, 15 décembre 1929

 

Ma chérie je pense à toi sans cesse. Nos années s’écoulent en ce moment et nous sommes à l’âge où il ne faut plus perdre de temps. Mais il faut avoir confiance dans notre étoile, garder son équilibre, flotter sur la bourrasque[1].

La bourrasque mentionnée dans cette lettre datée du 9 octobre 1939 est celle de la guerre, sans aucun doute, mais tout autant des naufrages et écueils de l’amour, amours tempétueuses d’un poète libre avec une femme émancipée des contraintes morales de son temps. La correspondance avec Youki, seulement partiellement publiée dans des ouvrages aujourd’hui difficiles à trouver, reste à découvrir pour beaucoup de lecteurs du poète : il sera principalement question d’elle ici.

Elle est constituée des lettres échangées par le couple que forment Youki (Lucie Badoud) et Robert de 1928[2] à 1945 –et l’on pourrait dire bien au-delà de la mort de Desnos. J’ai associé à ce corpus d’autres échanges : sans m’attarder sur ceux des longues années d’amour non partagé avec Yvonne Georges, qui ont été présentés et étudiés[3], je me suis plutôt arrêtée sur les lettres de Robert aux passantes qui parfois deviennent des amies du couple Desnos-Youki

Il faut avouer que ces lettres justifient mal la curiosité un peu malsaine du chercheur pour les écrits privés par un propos métapoétique qui les constituerait en « laboratoire de l’œuvre », même si ces sujets peuvent être exceptionnellement abordés dans les lettres à Youki, en quelques paragraphes synthétiques dignes de figurer parmi les « Réflexions sur la poésie » comme la très belle lettre à Eluard citée ici par Silvia Ferrari. On ne verra pas ici l’épistolier peaufiner son image de poète inspiré, de « prophète » du surréalisme, ni apprêter l’histoire de son œuvre pour la postérité. Le caractère quotidien,  spontané  et libéré du souci de l’image publique[4] manifeste dans la correspondance amoureuse à l’état brut ce que nous aimons retrouver chez Desnos, son impulsivité, une façon de se jeter dans le présent sans réserve et d’être fidèle, quoi qu’il lui en coûte, à la boussole de sa vie, c’est-à-dire à l’idée qu’il se fait de l’amour et de la liberté.

Après avoir dessiné les contours du corpus j’évoquerai quelques-unes des destinataires de Desnos, moins à partir de ses lettres à lui (des billets souvent très courts et factuels) que de leurs lettres à elles, pour faire sortir de l’ombre quelques-unes de ces passantes qui ne manquaient pas de personnalité ni de plume, et qui réfractent dans leurs lettres des images moins connues du poète. L’une surtout, Claude Cahun, dont on méconnaît souvent la relation à Robert Desnos. Je terminerai mon propos par les mystères du quotidien et l’énigme de l’amour pour laisser à l’amour de Desnos pour  la « sirène », Youki,  le dernier mot.

 

Corpus delicti

Les correspondances de Robert Desnos forment un socle de documents précieux pour le biographe soucieux de comprendre selon les époques quels milieux il fréquente, de dater ses déplacements, de suivre ses tribulations éditoriales et financières, ses affectations militaires en 1939-1940, jusqu’au périple tragique dans les camps, de Royallieu jusqu’à Terezin. Elles ont été explorées par Marie-Claire Dumas[5] que nous remercions ici de ses très généreuses informations, puis par Anne Egger[6] qui en cite un grand nombre dans sa biographie. Beaucoup sont réunies à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet [désormais BLJD], dans deux volumineux classeurs, aux côtés de lettres échangées par Robert et par Youki avec de multiples destinataires et relations. Certaines ont été repérées dans des catalogues de vente, notamment en 2017 lors de la vente de Saint-Valéry-en-Caux. Le fonds Desnos de la BLJD,  la gazette Drouot en ligne et certains catalogues de collections privées et de vente[7], m’ont permis de rencontrer quelques-unes des femmes qui croisent la route du poète et ont continué de l’accompagner, pour certaines fort longtemps.

Les reines de coeur nous sont mieux connues, Yvonne George et Youki ont été consacrées dans la poésie de Desnos comme un duo mythique, l’initiale de leur prénom, Y,  fournissant l’emblème de leur dualité : un chemin unique qui bifurque, ou à l’inverse, deux lignes éloignées l’une de l’autre qui convergent en une ligne de vie unique. Les lettres que Desnos adresse à Youki, loin de se limiter à des billets factuels, comportent souvent plusieurs pages ou sont écrites d’une façon très dense quand il s’agit des cartes-lettres de la période de la seconde guerre mondiale au format restreint.  Certaines d’entre elles, destinées à Youki, sont illustrées de croquis, graffiti et petits dessins expressifs, parfois proches de la bande dessinée. On y retrouve des motifs récurrents apparus à l’époque des sommeils hypnotiques, comme ces grands parallélépipèdes que des fenêtres transforment en immeubles [Figure 1]… ou, pas si inhabituels chez Desnos, des dessins de guillotine[8]. D’autres sont constellées d’oiseaux de toutes les couleurs. Le 3/IX/30 Desnos envoie à Youki, à l’Impérial hôtel à Tokio, une lettre colorée de décalcomanies  [Figures 2 à 8]: « J’ai reçu avec une telle joie ta lettre et ta carte que j’ai compris combien ton absence me pesait. Je te sais gré de bien vouloir me dire que la mienne t’ennuie un peu […] » Mais comment égayer la belle destinataire habituée aux dessins de Foujita ?: « J’ai vu avec un certain contentement que l’art de la décalcomanie ne tombait pas tout à fait en désuétude[9]. » Comme on le voit, les vignettes colorées sont d’abord déposées sur la feuille, puis la graphie s’abandonne au fil de la lettre au flux narratif improvisé sur un mode oral que la main suit comme elle peut ; l’écriture se défait et se faufile dans les blancs.

Convenons-en, les lettres de Desnos manifestent un penchant étrange pour les amours non partagées et les rendez-vous manqués : ainsi la correspondance avec Yvonne George, qui l’assaille de demandes, de protestations d’amitié. Si elle a des liaisons bisexuelles, elle n’entretient pas de relation physique avec lui et le traite avec une impérieuse exigence en éternel soupirant, dont elle attend qu’il soit toujours prêt à voler à son secours.  Cette posture que Marie-Claire Dumas qualifie de « chevalier servant », modélise le rapport qui s’établit avec les deux attachements majeurs de sa vie.  En revanche, la correspondance avec Lucy Schwob plus connue sous le nom de Claude Cahun montre qu’elle éprouve d’emblée pour Robert un véritable coup de foudre[10], que la réserve de Desnos transforme en une relation amicale de couple à couple : Suzanne Malherbe et Claude Cahun/ Desnos et Youki.  Plusieurs autres femmes font leur apparition dans les correspondances de Desnos : brèves liaisons avec des jeunes femmes aux trajectoires singulières, souvent tragiques et, d’une certaine manière, tout aussi révélatrices. Le scénario de rencontre comporte peu de variantes : dans une de ces fêtes qui finissent parfois en sexe sans lendemain, beuverie avec ou sans bagarres et gueule de bois les jours suivants, un ami (Henri Jeanson, André Thirion, Marcel Noll ou d’autres) présente à Robert une jeune femme dont ce dernier devient le confident et bientôt l’ami intime, parfois l’amant. Des passantes, dans la vie de Desnos, il y en eut plusieurs mais rares sont celles dont il partage la vie quelques semaines ou qui laissent leur trace dans un poème ou par quelques lettres et billets :  c’est le cas de Thérèse Treize, Florence Pitron, Lilian Lambretch, et Denise …. Montrobert[11] .

Je n’évoquerai pas Pearl White, puisque si Desnos en parle dans  sa critique cinématographique sur les Mystères de New York[12], je n’ai pas trouvé d’échange de lettres pour en témoigner ; si relation il y eut, elle fut éphémère et sans esprit de suite ; elle est cependant suggérée, non attestée, par une dédicace et des initiales sur une photographie glissée dans un livre. On a aussi la trace en quelques lettres du passage dans sa vie de Bessie de Saussure, chanteuse métis dont Youki lui écrit franchement qu’elle ne l’aime pas et qu’il doit venir sans elle au rendez-vous qu’elle lui fixe[13]. Je laisse de côté des coups de cœur, comme celui qu’il éprouve pour Denise Lévy. Cette attraction laisse certes des traces dans les dédicaces, mais pas dans les correspondances que j’ai pu voir. Les correspondances que Desnos puis Desnos et Youki entretiennent avec Bianca Maklès, la première femme de Théodore Fraenkel,  et avec sa deuxième femme, Guita (ou Ghita dans certaines lettres de Robert), très fidèle refuge pour Robert et Youki, ou encore avec Camille George, Lise Deharme, entre bien d’autres, sont laissées ici de côté : elles sont de nature différente, inscrites dans de solides amitiés de couples, quasi familiales, et la plupart du temps laconiques et factuelles, liées aux rendez-vous et visites fréquentes.

 

Thérapeute et thaumaturge ? Billets de commerce illicite, conseils de santé mentale.

Les relations épistolaires, si discrètes qu’elles soient avec les passantes de sa vie montrent que les liaisons et relations féminines de Robert sont liées aux réseaux de la fête dans les milieux artistes qu’il fréquente, de Montparnasse à Neuilly. Ses conquêtes, souvent modèles de ses amis peintres, vivent de leurs charmes ; jolies et ambitieuses, elles ne manquent ni d’intelligence, ni d’humour, mais pragmatiques, sont « montées à Paris » pour échanger la vie au foyer, qu’on leur présente comme l’accomplissement de toute femme, contre la liberté tant physique que morale. C’est le cas d’Yvonne, de Youki, de Thérèse.

Dans ces lettres où l’on s’entend à demi-mot, la consommation d’opium, de laudanum, de cocaïne est à peine voilée. Un poème de 1919[14], « Ode à Coco », sous le masque du  perroquet ne cache pas l’allusion à la poudre. Le mot « Coco » revient à la fin d’une lettre à Denise Montrobert, comme un petit nom amoureux mais on accordera que cette signature est d’un humour grinçant parmi les billets de demande « d’aide ».

Ne m’en veux pas chérie. Je mène une vie impossible en ce moment… complications, ennuis, travail, etc…
Je ne sais pas à quelle heure j’arriverai.
Pardonne-moi si j’arrive trop tard et, en tous cas, veux-tu venir mercredi ? A la même heure. Je ferai l’impossible pour être là.
Coco.

À Youki, Desnos parle ouvertement de leur consommation d’éther, mais semble n’y voir qu’un dérivatif ; il craint avant tout qu’elle ne cède à d’autres addictions, celles qui ont perdu Yvonne George. Ainsi le 3 septembre 1930[15], dans une lettre où la dégradation de l’écriture au fil des pages rappelle celle de quelques mots notés sous hypnose :

ma chérie, j’ai reçu avec une telle joie ta lettre et ta carte que j’ai compris combien ton absence me pesait. […] Le dîner chez Jeanson fut sans histoire et je rentrai chez moi utiliser ce qui restait de notre bouteille. Inutile de dire qu’il n’en reste plus. Le plus beau est que, persuadé que je ne sentais rien, je promenais mon visage innocent et des effluves asphyxiantes à travers mes amis consternés. J’ai eu beau leur dire que je sentais l’essence de Bergamote ils n’ont pas eu l’air de me croire.

Le bon vin lui apparait comme un excellent antidote, mais il lui adresse quand même des recommandations sur la quantité – « surtout ne bois pas trop »…

Les échanges avec Thérèse, Lilian Lambrecht et Denise Montrobert comme la correspondance abondante d’Yvonne George contiennent beaucoup de billets allusifs, elliptiques, des demandes d’aide et de rendez-vous parmi de longues lettres où elles détaillent leurs symptômes, les traitements qu’elles reçoivent, leur état de manque, manque de drogue, manque d’amour. Il est celui qu’on appelle dans l’urgence, qui conseille ou écrit aux avocats quand des poursuites sont engagées, quand un scandale dégénère. Les lettres de Desnos à Yvonne sont les plus longues, à la proportion de son amour et de sa souffrance..

Robert fait fonction de pourvoyeur ou de thaumaturge : il sollicite les réseaux, livre le « paquet » attendu dans des endroits convenus, rassure et sollicite les amis médecins, Théodore Fraenkel, et Gaston Ferdière notamment. Les lettres de ses amies parlent des douleurs de l’addiction, de la maladie sur le registre de la plainte mais aussi de l’humour ; dans le cas de Denise, l’amour est aussi vécu comme une addiction qui expose aux souffrances du manque. Sensible à la souffrance de chacune, il répond aux appels sans faire de sermon, sans se laisser dissuader par les risques d’illégalité, mais en profite pour donner des conseils d’hygiène mentale, prônant les activités sportives, la marche et la gymnastique, les sorties avec des amis –tous remèdes à la dépression ou aux tentations dangereuses qu’il semble s’appliquer à lui-même. Instruit par la relation qu’il a entretenue avec Yvonne George, la plupart du temps il se protège et si ses conseils en faveur de la vie ne suffisent pas, il passe le relai au « bon Docteur » : Théodore Fraenkel[16], bien souvent embarqué dans ces actions de sauvetage, se trouve chargé de sortir Yvonne de l’addiction, de l’adresser aux cliniques adaptées à son cas, d’atténuer l’effet de sevrage, de lui donner des médicaments de substitution, de réfléchir à la compatibilité de ceux-ci avec la tuberculose dont elle va bientôt mourir. L’expérience de la dégradation de la santé et des souffrances d’Yvonne George, reste un souvenir omniprésent et douloureux. Leurs échanges montrent qu’il la secourt régulièrement quand elle est en rupture de stock, devient l’ami indispensable qui veille sur sa vie, sur son approvisionnement en cas de crise, lui évitant les aléas des réseaux de revente. Ces relations qui lui inspireront un roman à clé transparent, Le Vin est tiré, forment le socle commun des amantes de passage, avec en toile de fond le milieu des artistes, mécènes, héritiers déclassés, fêtards et marginaux de toutes sortes[17]. Plusieurs de ses amies traversent des périodes tragiques : c’est le cas de Thérèse « Treize », une de ses plus anciennes liaisons.

Thérèse Maure, née en 1900, écume les soirées de Montparnasse aux côté de Kiki, sa grande amie. Robert l’a rencontrée en 1922. Comme Kiki et beaucoup d’autres jeunes femmes, elle gagne sa vie comme modèle et propose des cours de gymnastique à domicile[18], quoi qu’on appelle ainsi. Son pseudonyme lui aurait été donné par le poète, qu’on sait sensible aux paronomases et jeux d’homophones. Il a vécu assez brièvement chez elle en 1924, comme en témoigne un billet tardif où elle lui demande le 10 juin 1927[19] de venir récupérer ses affaires et son fauteuil restés chez elle depuis trois ans. Thérèse a aussi été la maitresse de Per Krogh, un peintre, filleul d’Edward Munch, dont le nom revient dans les correspondances entre Robert et Youki.  C’est sous le nom de Thérèse Cano de Castro qu’on la retrouve en 1932 après son mariage avec Manuel, lorsque Youki prend le relai de Desnos dans les échanges.

Lundi 4/2/35

Bonjour Youki chérie et cher Robert. Bonjour Fraenkel.
J’ai beaucoup souffert, maintenant j’apprends à marcher, comme un enfant. Je vois de nouveau clair. Mais quelle faiblesse ! Manuel vous dira tout ! J’ai les nerfs ébranlés. Je suis plutôt anxieuse que toximane [sic], c’est à cela que je dois la faveur de recevoir la visite de Manuel.
Baisers. Thérèse Cano de Castro

Manuel semble moins compréhensif que Desnos, mais c’est à Youki qu’elle réserve la description de sa solitude, de ses souffrances physiques et psychiques, esquissant aussi une galerie de portraits vivants des internées :

Nous sommes toutes en liquette et camisoles blanches, c’est un bel hôpital. Quand le soir on voit les chemises blanches s’envoler vers les lits, on croirait un couvent. Il y a plusieurs jolies filles. Elles sont touchantes à voir dans l’uniforme. On retombe en enfance ici. Un rien vous amuse : les journées sont si longues et mes nuits si terribles. Je les appréhende. J’ai envie de crier au jour : « attends ! ».
Hier soir une jolie petite femme au nez retroussé, au casque noir, coiffée comme Lucy [C’est-à-dire, selon J.-P. Dutel, avec une frange, comme celle de Lucy Korgh née Cécile Vidil (1891-1977)] nous a chanté des chansons poisses ; une autre, genre tonkinoise, chantait très « Damia » ; la 3ème qui a l’air d’avoir 14 ans, gazouillait d’une voix haute d’ange des chansons jamais finies ; elle a une tête de fillette et des nattes blond cendré.
Cette nuit on a emporté une femme qui est devenue folle. On lui a passé une combinaison de toile et on l’a emmenée. Elle se laissait trainer comme une pauvre bête.
Ce matin, il y en avait une qui « ne voulait aller nulle part ». On l’a tout de même emmenée ailleurs, chez les agités ! Elle bondissait chaque fois qu’on ouvrait la porte, on aurait dit un jeu. Tout le monde criait « attention » et vite on fermait la porte et l’autre ronchonnait.
Ici ce sont les douces toquées, les désespérées, les maladies [sic] du cerveau, et les intoxiquées, je ne suis pas toquée ! Mais anxieuse ! C’est le mot du Dr lui-même. Ah ! Sacrés Pierre  et Manuel ! Mais Manuel est transformé, il est bon, je crois que nous aurons du travail, nous serons heureux, ce ne sera pas trop tôt. J’ai eu si longtemps le désespoir comme partage, 3 ans, tu as une idée chère Youki des distractions de la maison. Ecris-moi —même si je n’écris pas.

Je vous embrasse tous les 2.
Thérèse[20]

Les lettres passées en vente à Saint-Valéry-en-Caux correspondent aux moments qui  précèdent ou suivent une crise  et  le même schéma se répète : le médecin, ou elle-même lorsqu’elle sent son état de santé se détériorer, demande une hospitalisation, elle informe[21] ensuite qu’elle n’aura pas droit aux visites, puis précise les conditions et les horaires de parloir, envisage une sortie surveillée. Thérèse est alors devenue l’amie de Youki et son professeur de gymnastique ; elle s’adressera plusieurs fois à elle au fil des années trente –notamment dans les longues lettres, comme celle du 24 juillet 1938, qu’elle envoie du  preventorium de St Michel du Val d’Ajol  à Lacaune-les-Bains, où elle évoque son travail avec des enfants en grande difficulté pour lesquels elle a créé un groupe de gymnastique et d’acrobatie[22]  ; elle insiste sur le profit qu’elle y trouve, sur la santé revenue, sur l’espoir. Mais Thérèse Maure comme jadis Yvonne George connaît des rechutes, va de la Salpêtrière en maisons de convalescence, à Ville d’Avray[23] par exemple. Elle témoigne du quotidien terrifiant des internées et des privations qui rendent si précieux les colis de Youki dont elle fait profiter ses camarades d’infortune –par générosité mais aussi pour pacifier les relations souvent violentes et se trouver des alliées, des « protégées » [Lettres 1 et 2].

Ma chérie on me soigne très bien ! Je souffre ! Mais il n’y a rien à y faire ! On a d’ailleurs réduit cela au minimum. Tout le personnel est très humain. Quelle brutalité à Henri Roussel[24] [sic]. C’est maintenant que je m’en rends compte. Et pour une femme nerveuse comme moi, je crois vraiment qu’il est préférable d’aller progressivement et lentement comme on le fait ici. […]
Envoie-moi encore des journaux, je voudrais savoir la fin du procès Schneider, un petit cube de savon de Marseille, du sucre, du beurre, des oranges. Ton paquet était épatant, qui a fait le choix ?
Je suis très bien nourrie et pleine de patience. Enfin, il ne me manque que vous et mes chats. J’essaie tant que je peux de distraire ma pensée.
Il y a une chose qui me distrairait, c’est d’avoir de la laine layette crème et un crochet. Quand je pourrais, je crochèterais et cela m’empêcherait de penser au mal qui vient doucement, sûrement vers vous. J’aimerais aussi avoir le « petit écho de la mode » 0fr50 et la « mode de Paris » ? 0,70.[…]

À la fin de la lettre du Mardi 28 décembre [1937] au soir, l’humour reprend ses droits, face aux blocages collectifs qui se cristallisent en hauts moments d’absurde :

[…] L’équipe du soir est ma préférée ; cela ne veut pas dire que les autres ne soient pas dévouées ; elles sont toutes parfaites pour moi. Et pourtant elles ont de quoi s’énerver sans cesse car ici on travaille toujours du chapeau. Le chapeau passe de tête en tête, mais toujours il voyage !! Il y a des moments délirants. Ce qui est assez amusant, c’est quand tout le monde fait la même blague : c’est du travail collectif. Tout le monde veut s’en aller ou alors personne ne veut plus partir, ou autre chose.

Hospitalisée dans une maison de convalescence au Vésinet, en 1938, elle s’inquiète aussi pour sa grande amie Kiki engagée sur le même chemin. Thérèse continue de transmettre en fin de lettre son salut à Desnos. Ce dernier, arrivé en Dordogne, en 1940, s’enquiert près de Youki à plusieurs reprises de la santé de Thérèse. Elle séjourne pendant l’Occupation à Bréchamps, près de Nogent-le-Roi avec son mari Manuel Cano de Castro, qu’il apprécie peu mais dont il craint que Thérèse ne finisse par le tuer. De la ferme des parents de Thérèse, Manuel écrit lui aussi à Youki et lui confie combien il s’ennuie à la campagne, loin de la vie noctambule parisienne, tandis que Thérèse se sent revivre dans les travaux très physiques de la ferme qui lui permettent de supporter le climat familial catastrophique qu’elle décrit dans de très longues lettres conservées à la BLJD[25].

Dans la correspondance adressée à Robert, des billets plus courts portent d’autres plaintes, assorties de demandes pressantes, fixent des rendez-vous « à l’endroit que tu sais » ou « dans notre petite bistro » : ils sont écrits par Lilian Lambrecht et Denise Montrobert. Youki, au dos d’une photographie fait de Lilian la fille de l’opticien Merovitch. Cependant, Jean-Pierre Dutel a retrouvé un « Ferdinand Henry Lambrecht, directeur chez Meyrowitz » qui est, selon toute vraisemblance, son père. Elle est en tout cas désignée par Desnos comme sa « fiancée » dans une lettre qu’il adresse le 5 avril 1929 à un avocat de Draguignan, Maitre Miot, pour faire en son nom la demande de dépaysement d’une affaire de justice. La réponse courtoise et dissuasive de l’avocat suggère qu’il s’agissait probablement de poursuites pour détention de drogue et qu’il sera plus facile de la sortir d’affaire sur place. Ce terme de « fiancée » pourrait être de pure convention pour justifier son intervention dans la lettre destinée à un homme de loi, mais on le retrouve dans une lettre de Florence Pitron, comme chez Théodore Fraenkel : on charge Robert, en fin de lettre, de transmettre amitiés ou baisers à sa fiancée[26].  Néanmoins, la carte-lettre non datée que Desnos lui adresse ne témoigne pas d’une relation passionnelle intense :

Avant de partir, ma chère Lillian je te souhaite ardemment d’être en meilleure santé à mon retour et de te soignez [sic] pour l’amitié même de Robert Desnos.

Embrasse, je t’en prie, Mme Lambrecht pour moi.

Une autre passante de la vie de Robert le poursuit de déclarations passionnées. C’est Denise Montrobert. Leur correspondance, laconique et rare du côté de Robert, s’étale entre 1929 à 1933. Une vingtaine de lettres figuraient dans la vente de Saint-Valéry en Caux, parmi elles beaucoup de messages minimaux, qui fixent ou annulent un rendez-vous, des pneumatiques[27] et quelques longues déclarations d’un amour visiblement non partagé. Denise, par sa grand-mère anarchiste, Séverine[28], vient d’une illustre famille militante; journaliste et féministe, elle s’est engagée dans les luttes politiques antiracistes de gauche qui mobilisent aussi Desnos dans les années trente  et partage avec lui le goût de la littérature. Ses lettres, à la différence des autres interlocutrices déjà mentionnées, montrent qu’elle a lu sa poésie et, consciente d’écrire à un poète, fait un effort de style dans ses protestations amoureuses, qui vont jusqu’à un certain mimétisme lyrique voire, plus rarement, stylistique :

Robert, Appelle-moi bientôt, enfin quand tu voudras. Tu me hante [sic] détestablement, quand je te vois je redeviens moi-même. Je ne suis pas perdue corps et bien[29] [sic] . Je le suis quand tu n’es pas là. Les oiseaux et l’odeur de la forêt mouillée et tout ce que j’aime, n’est plus. Faut-il absolument disparaître, ou continuer l’agonie.
Les mots ni les couleurs n’ont plus de forces, le cœur des pierres même s’effrite et la musique que j’aime tant n’est qu’une mécanique à l’imitation de mon cœur.
Enfin je me sens comme la mer et comme le sable aussi mouvante et nul ne peut rien pour moi.
Je t’ennuie, toi dont je suis éprise. Je t’embrasse, je te chéris mon bien aimé. Denise.

Certaines prennent l’allure d’un récit de rêve ou d’une fable non sans auto-dérision, ni conscience humoristique de sa situation. Qui joue le rôle du « lamantin » ? Robert au regard absent ? Elle-même perdue dans un amour sans issue ?

Il y avait une fois une forêt et dans cette forêt un lamentin [sic] de taille petite, il pouvait se croire encore dans une mer de feuilles mortes car de grands fonds s’ouvraient à ses yeux qu’un brouillard étrange obscurcissait souvent.
Un lamentin [sic], rien d’autre.
Il y avait aussi une maison pleine de livres, des livres sur tout, l’univers imprimé, une âme en peine ouvrait tous les livres sans pouvoir lire.
Simplement, une âme en peine. Il y avait un enfant qui avait la faculté de mâcher son propre cœur comme du chewing-gum.
Est-ce toi ou moi ?

Si elle mêle à la demande la plainte lyrique, Desnos s’en tient à son rôle protecteur occasionnel, garde ses distances, vient ou ne vient pas, fait faux-bond sans prévenir, laissant Denise dans un état qui est exactement le sien quand Youki lui fixe des rendez-vous successifs sans daigner apparaître plusieurs jours de suite.

Lundi 17. Robert, cher Robert, mon chéri. Je t’appelle tout le temps, je hurle ton nom tout bas, tout bas [ ? ].
Et je ne sais rien de plus que les vagues rumeurs que m’apporte Bernard [son mari]. Je n’ose rien demander à Fraenkel de peur qu’il n’ai [sic] rien à me répondre. J’ai vu ton livre et puis dans un autre livre, une phrase qui m’a fait mal. On disait que le poëte qui pouvait exprimer son rêve n’avait pas besoin qu’il se réalisa [sic].
Donc tout amour réel doit encombrer ta vie, et je me suis sentie tout à fait inutile.
Tu connais mal, sans doute, les dernières phases de ma maladie, qui sont d’un comi-tragique assez douloureux.
Chaque fois que j’espère, un nouveau danger court sur moi comme un express. Jusqu’ici je suis couchée entre les rails, me relèverai-je avant qu’on ne retrouve ma tête dans le cendrier ?
Maintenant que le mal est fait, j’ai peur qu’il n’ait été le bien.
Tu ne sais pas encore à quel point je suis insupportable. Je ne cherche pas le bien ni le mal. Je cherche la vie et quand elle est là, j’ai si peur que je la tue. […]

Ces demandes amoureuses amènent en réponse des justifications gênées dans de courts billets, rarement datés dont Denise n’est pas dupe. Elle masque le mal être derrière l’humour comme dans cette lettre à l’en-tête du Cri des peuples :

Es-tu parti en voyage ? Est-ce pour cela que je ne sais rien ? Dans ta lettre tu dis que je t’inquiètes [sic]. Quelquefois, surtout que ce ne soit pas vrai, cela me ferait beaucoup de peine, je voudrai [sic] que tu penses à moi pour rire. Je m’en moque que Decaris et toi vous disiez que j’ai dix ans, ça n’est pas vrai.
Et puis, c’est défendu de faire enrager les malades. La rumeur publique dit de toi des choses très flatteuses (A peine justes d’ailleurs).
Je lis l’histoire de la Commune et cela met à vif mes prétentions de révolutionnaire. J’aimerais mieux lire Nat Pikerton [sic]. Qui est chez toi.

Le rôle ambigu de conseiller pour femmes égarées ne s’adresse pas qu’aux jeunes femmes tombées dans le piège de la drogue : l’addiction amoureuse requiert tout aussi bien l’intervention du chevalier Robert, même quand il n’en est pas lui-même l’objet. Florence Pitron le sollicite parce qu’elle est en plein désarroi amoureux ; aux sports d’hiver, elle a succombé au charme de Max Ernst et vient à sa demande le rejoindre à Paris, découvrant alors qu’il n’a pas l’intention de quitter sa femme, Marie-Berthe Aurenche. C’est d’abord Thirion qui la console et la présente, rue du Château, à Desnos en 1929[30]. Les lettres de Florence à Robert montrent en filigrane son rôle de confident compréhensif :

Mon cher Robert, je traîne une vie lamentable… et vous seul comprendrez ce que ces pauvres mots signifient… et vous m’avez dit un soir, Robert, que vous étiez mon ami et que je pourrais vous appeler dans un moment de détresse. Je suis malheureuse, terriblement, et vous devinez pourquoi… J’ai trouvé à Sainte-Maxime un mari terriblement jaloux et toujours de méchante humeur et d’une maladresse rare. Je crois que malgré toute ma bonne volonté je ne pourrai en supporter davantage… Je vous en supplie, et puisque vous avez bien voulu me le promettre, ne pouvez-vous pas voir Max Ernst ? Lui dire toute ma tristesse, mon immense amour. Il me serait si facile, j’aurais tant de courage pour travailler, pour vivre seule à Paris, si je savais qu’il ne m’ait pas tout à fait oubliée. Vous aviez surpris un soir ce qu’il y avait dans mon cœur et je crois que l’absence n’a fait qu’aggraver ce mal incurable… Vous m’avez promis, j’ai confiance, et je suis si malheureuse. Je vous en prie, déchirez cette lettre[31].

Rober Desnos l’a, au contraire, conservée, de même que la suivante où elle se ravise :

La comédie dure depuis trop longtemps, j’en deviendrais folle !… N’insistez pas trop auprès de Max. Je serais désolée qu’il croi[e] que j’use de tous les moyens pour le convaincre. Son image et sa voix me poursuivent si souvent, si souvent, et j’ai peur de me voir dans un pareil état. Il m’a fait tant de mal et pourtant je l’aime, je l’aime… comment tout cela finira-t-il ?

Une carte du 21 mars 1929 suggère qu’elle reporte sur Robert son affection :  « je m’ennuie de vous, ami chéri, tout va de plus en plus mal et je compte rentrer à Paris dimanche soir ». En septembre 1929, après le départ de Youki pour le Japon, Desnos séjourne dans le sud ; Anne Egger fait l’hypothèse qu’il a peut-être retrouvé Florence là-bas[32]. Elle cite une lettre non datée qui témoigne des « magnifiques moments » passés ensemble :

un dimanche après-midi à Marseille, un soleil agressif et votre petite sœur plaintive et misérable. Croyez-vous à l’immense affection et au dévouement que je vous promets pour toujours. J’ai été très touchée, très émue par vous et je ne pourrai jamais oublier notre pacte, ni les magnifiques instants si touchants. Que vos murs gardent longtemps le souvenir de mon ombre, votre robe de chambre la forme de mon corps et votre cœur les battements de mon cœur si ému. Et pensez souvent qu’on peut être si triste loin de ceux qu’on aime. Je vous embrasse[33].

Une lettre de Georges Neveu situe cet épisode plus précisément à Villefranche. Bien plus tard, au début de la guerre, Youki interroge Robert sur une allusion de Georges Neveu à une femme qu’il voyait presque tous les jours à cette époque–mais il répond ne pas se souvenir de quelle femme il peut s’agir… On a pourtant en mémoire le beau poème écrit au lendemain de sa mort, brûlée vive dans un accident de voiture[34] le 3 novembre 1929. Recueilli à la fin de Corps et biens, il témoigne du passage de Florence dans la vie de Desnos qui, bouleversé, écrivait à Youki le 7 novembre 1929 :

Il est temps que tu reviennes car ton absence ne porte pas bonheur à Paris. Cette pauvre Léna s’est tuée dimanche dernier… avec Florence que je revoyais depuis trois semaines. Derain a tenté l’impossible pour les sauver… Je suis très triste. Je ne porte pas bonheur à mes amis. Je suis un semeur de catastrophe[35].

Avec Thérèse, Lilian, Denise ou Florence, Robert Desnos a pu se laisser entraîner dans de courtes liaisons, mais il évite la confusion des sentiments : les demandes de drogue, d’attention, de médicaments, de soins lui semblent plus faciles à satisfaire que la demande d’amour. Redonner à ces femmes désespérées goût à la vie est ce qui lui importe, mais il est obsessionnellement fixé ailleurs et ne cherche pas à donner le change. Sa réserve d’homme lige dont le cœur est déjà engagé plaît aux femmes et lui attire même quelques lettres de déclaration de Lucy Schwob, plus connue sous le nom de Claude Cahun, dont les archives contiennent outre des lettres de Desnos[36], des portraits et autoportraits surprenants. Desnos et Youki, invités Rue Notre-Dame-des-Champs chez Claude Cahun et Suzanne Malherbe[37], peuvent y croiser Henri Michaux, Crevel, Lacan, Tzara, Péret, Bataille –ou encore les amis de La Critique sociale, la revue de Boris Souvarine et plus largement les membres de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires.

Avant cette relation, quasi familiale des deux couples, la rencontre avec Robert, en 1929, avait pris la forme d’un coup de foudre de Claude Cahun qui semble effrayer Desnos, ce qu’elle enregistre immédiatement. Elle évoque le poète dans sa longue lettre à Gaston Ferdière en 1946[38] et dans Confidences au miroir  : « Desnos s’excluait alors du groupe surréaliste. Nous nous entendîmes assez bien je crois… moins peut-être lorsqu’il me crut moins indépendante que lui-même[39]. » Leur relation passe par la poésie : les recueils ou poèmes dédicacés que lui adresse Desnos suscitent les réactions très admiratives de la lectrice. Elle sollicite un avis sur son propre manuscrit – celui d’Aveux non avenus, son œuvre majeure, qu’elle dépose à La Coupole à l’intention de Robert. Fausse manœuvre : elle se rétracte et envoie Suzanne Malherbe, fort gênée de la situation, le récupérer près du barman. Suzanne en informe Desnos. Claude écrit de son côté une longue lettre pour s’excuser prétendant que son manuscrit « ne contient que le pire », et s’inquiète que cet envoi l’ait fâché ou gêné [Figures 9 et 10]. Chez Claude Cahun, la relation à l’autre relève d’une casuistique complexe, inspirée par la délicatesse et l’exigence de vérité ; on la voit souvent inquiète d’en avoir trop dit ou pas assez, d’avoir manqué de justesse par orgueil ou par lâcheté. Desnos a certes la réputation d’être impulsif, mais la crainte qu’il soit fâché, qui revient dans plusieurs lettres de Claude Cahun à cette époque, tient sans doute davantage à ses propres sentiments à son égard :

J’espère que vous n’êtes pas fâché contre moi. J’en serais désolée. Soyez assuré de la pureté de mes sentiments à votre égard en dépit de ma maladresse à l’exprimer— J’entends par là que je souhaite avant tout ne vous causer de désagréments d’aucune sorte. Et si ma proposition vous a déplu ou bien vous gêne… (ne croyez pas que je la renie ; ne croyez pas que je n’y tienne pas —mais je tiens davantage à votre amitié)… il m’est très facile de la tenir pour non avenue et jamais je n’en reparlerai la première – à moins que vous ne m’y incitiez vous-même).
En tout cas vous me feriez un grand plaisir en venant nous voir, Suzanne et moi, un de ces jours, ou en nous écrivant quel jour vous ne seriez pas trop bousculé pour venir déjeuner ou diner avec nous.

Lucy Schwob signe ses lettres et billets tantôt Claude Cahun, tantôt Claude Schwob mêlant le prénom épicène de son pseudonyme à son patronyme d’origine. Ses lettres très allusives passent des déclarations aux regrets. Après quelques aveux cryptiques, qu’elle propose de considérer comme « non avenus » selon la formule qui lui est chère, Claude Cahun propose à Desnos d’oublier ce premier contact mal engagé et instaure entre eux une relation amicale où Youki trouve vite sa place. Le Viking devient leur point de ralliement[40]. C’est elle, et plus rarement Suzanne, qui fixe les rendez-vous au Viking et les invitations rue Notre-Dame-des-Champs [Figure 11]. Desnos répond souvent par un billet, où il accepte parfois, et parfois s’excuse… En avril 1931, lors d’un séjour à Jersey, Claude Cahun revient sur le malentendu de leur première rencontre et l’invite à les rejoindre ; on devine qu’il s’abrite parfois derrière ses travaux pour décliner les invitations et ne se laisse pas « attirer pour de bon », une formule pour le moins ambigüe :

ça remplacerait avantageusement le soleil. Mais je manque d’imagination. Quant à vous attirer pour de bon, c’est trop difficile malheureusement. La réalité n’est pas pour moi. Chaque fois qu’il m’en est donné un petit morceau, je la gâche bêtement. […]. Que deviennent vos lettres et papiers à ranger ? Etait-ce sérieux ? Je prends des forces et de la « méchanceté » (ce mot exprime mal ce que je voudrais dire).
Ecrivez-moi, je vous en prie.
En somme, vous n’avez jamais répondu à ma folle proposition… Si ! vous m’avez montré que vous n’étiez pas fâché. Certes, c’est le principal. Mais pourtant…. Ecrivez-moi que nous nous reverrons. Love[41].

Le 13 avril Desnos répond en restant sur le terrain de l’humour dans un registre paternel : « Mais oui, mon enfant, mais oui c’est sérieux si vous le voulez cette histoire de paperasses. Je crains par contre que vous soyez découragée par cette besogne fastidieuse et rébarbative. Je ne veux pas quand à moi vous entraîner dans une semblable entreprise […] » Il laisse prudemment en suspens le dernier paragraphe de son interlocutrice, qui continue de distiller quelques regrets et phrases à double entente sur un mode sybillin :

Mercredi soir [1931]

Je suis impatiente de lire la suite du poème[42]. Pas moyen de trouver « The Night of Loveless nights » chez les libraires. S’il ne vous reste pas d’exemplaires pour moi (après tout suis-je digne d’un si beau cadeau ?) prêtez m’en un, je vous en prie.
Cette lettre vous déplait ?
Tant pis pour vous. Décidément vous êtes un garçon cruel (j’aurais préféré me tromper sur ce point !) Mais vous pouvez refuser mon amitié, vous ne pouvez pas l’empêcher.
Et surtout n’allez pas appeler ça « une engueulade ». C’est tout ce qu’on voudra sauf ça ?
Claude Schwob

Une lettre envoyée du 70 bis rue Notre-Dame-des-Champs le mardi [17 ] mars 1931 semble faire suite à la précédente [Figure 12] :

Me donnerez-vous un jour la joie de vous revoir ?
Vous trouverez peut-être qu'il est honteux de mendier ainsi votre amitié (si je pouvais la voler, soyez sûr que je ne la mendierais pas) et cela me fait plaisir de vous écrire que je pense à vous, que le livre que vous m'avez donné est la première chose qui se trouve sous ma main au réveil - et que la fin du poème me plaît encore plus que le début, s'il est possible. Vous écrire cela, soit. Mais pourquoi vous envoyer la lettre ? J'hésite longtemps, mais je l'envoie quand même. D'ailleurs c'est votre faute : j'obéis au fantôme de cristal, à ses yeux sans pitié./ Bien vôtre/ Claude Schwob.

Ce « fantôme aux yeux de cristal » condense en une formule emblématique un de ses portraits photographiques du poète [figure 13] ; elle reste fidèle à cette image dans une longue lettre autobiographique adressée à Charles-Henri Barbier le 21 janvier 1951 : « Les yeux de Robert sous un ciel plombé… Océan à la calme surface duquel flotteraient des algues et fleuriraient des huîtres butinées par un essaim d’étoiles… Paysage fascinant[43]. » En novembre 1931, Claude et Suzanne avertissent de leur départ à Nantes, où vit une partie de la famille Schwob ; la correspondance les relie de plus en plus familièrement pendant ce séjour qui se prolonge au début de 1932. Sur les lettres de Claude, la lyre et l’oiseau forment moins une « raison sociale » qu’un subtil autoportrait emblématique, un rébus à la Desnos [figure 14]. Les relations se resserrent, comme en témoignent un mélange de mise en demeure directe et d’humour complice ; les échanges se muent en conversations familières et intimes autour de Kikou le chat ou de la recette des civelles. Le 29 décembre 1931, elle adresse ses vœux de Nantes :

Je vous souhaite (ce qui est une manière mal déguisée de me souhaiter à moi-même) toutes sortes de choses agréables pour 1932… ça ne sert à rien mais ça fait toujours plaisir d’espérer.
En attendant je ne puis trouver Commerce[44] dans cette ville charmante mais démunie de tout.
Pardonnez mon indiscrétion et croyez, je vous prie, à mon amitié sincère. Le Kikou se rappelle à vous. Il est heureux ici, quoique honteusement rossé par son frère plus jeune de 3 mois mais beaucoup plus méchant : mieux élevé (pas par moi).

Desnos lui répond sur le ton de la franche camaraderie, avec le même humour

14 janvier 1932
Veille du terme

Chères amies,
Tout d’abord bonne et heureuse année bonne santé bon appétit bon voyage bon tout.
Ensuite Commerce est parti pour Nantes hier.
Enfin j’habite 6, rue Lacretelle où les civelles sont reçues avec honneur, elles et la recette pour les préparer.
Allez-vous rester longtemps toutes deux à Nantes ? Pense-t-on dans cette ville à ériger des statues à Carrier et à Saint-Philibert ? mais tant va le bateau à l’eau…
Je travaille comme un forçat, je dors comme un loir, je bois comme un trou, je mange comme un porc et je vous souhaite tout  de même sauf le travail.
Une quinzaine de poèmes sont partis vers leur destin comestible qui est d’être imprimé [Les Sans-Cou ?] Vous verrez ça. Vous verrez aussi un tas de lettres en tel désordre et tel nombre que je me demande si vous aurez le courage de les classer.
Et je mets une fois de plus la main à la plume pour me dire votre très respectueux, très fidèle  et très reconnaissant ami
Robert Desnos

Claude Cahun fait suivre une étude de recettes comparées sur la façon d’accommoder les civelles dans une lettre où la poésie est intimement mêlée à la vie quotidienne ; la recette spirituelle apparaît comme un exercice proche des chroniques humoristiques de presse féminine qu’elle écrivit sur la mode et les mœurs pour le Phare de la Loire. La demande implicite de la revue Commerce montre qu’elle suit toujours attentivement les publications du poète. Elle s’essaie en attendant aux rimes en –inx et aux homophones, clin d’œil aux jeux verbaux recueillis dans Corps et biens…ou au sonnet en -yx :

Les Nantais assurent que les vrais amateurs de civelles les mangent froides, blanches et vertes, avec des fines herbes et sauce d’huile et de vinaigre. Elles ne sont vendues que préparées – comme le caviar ! – c’est-à-dire cuites, au moins je le suppose…
Selon mes souvenirs d’enfant, on les faisait frire (à l’huile d’olive) et on les servait croustillantes, sans beaucoup plus de goût que des « pommes de paille ». Il paraît que cet accommodement est une hérésie. En tout cas il est sûrement indigeste. On peut à la rigueur les faire sauter, mais sans défaire le nœud de serpents qu’elles forment : elles sont tressées, tassées en petites couronnes. Donc, les faire sauter au beurre, et si l’on veut être vraiment Nantais, il faut laisser noircir le beurre. (Horrible !)
Si j’aimais les civelles je les laisserais dans la Loire, mais si je voulais en manger je les plongerais (nouées dans un linge fin) dans l’eau bouillante, puis je les mêlerais à des champignons et à des piments doux. Ou bien roulées dans des crêpes de blé noir. Ou froides, avec des anchois.
En tout cas, elles doivent arriver comestibles. On doit vous les expédier demain, soit par la poste, soit par le « service rapide ». [L]e plus simple est d’en goûter sitôt le colis ouvert, et si c’est bon, d’inventer vos propres recettes pour les réchauffer ou les assaisonner.
[…]
J’attends impatiemment Commerce COMMERCE COMMERCE – c’est-à-dire un peu de vous.
A bientôt
Claude Schwob
[…]
Ma belle-mère apprend l’orthographe à un parent licencié en droit. Elle a trouvé pour lui cette belle dictée (qui par hasard nous est tombée sous les yeux) :
…. D’applaudir à l’idée qu’ont eue (qu’on tue) les instituteurs….
N’AIE PAS PEUR DU SPHINX
AI-JE DES YEUX DE LINX
A-T-IL UN GROS LARINX

Enfin Commerce arrive, avec « Siramour » -et à la lecture de ce magnifique poème qui célèbre une autre sirène se mêle à l’admiration une pointe de souffrance amoureuse [Figure 15]. Desnos accuse réception et continue d’envoyer ses poèmes dactylographiés : « Hommes », « Les Quatre sans cous », « La Ville de Don Juan » accompagnent sa lettre suivante :

Paris, ce 26.1.1932

Chères amies
Les civelles furent délicieuses et « ne durent qu’un instant »
Quelle reconnaissance. Vous êtes toutes deux trop gentilles pour moi qui attends quatre jours pour vous remercier d’un tel plaisir.
Elles furent mangées crues, puis sautées au beurre (très bon), puis frites à l’huile.
J’en voudrais d’autres mais en vous les remboursant condition (+ dessins)
Dites si vous pouvez vous en procurer.
Heureux que Commerce soit arrivé enfin avec tant de retard. Quand revenez-vous ? Je pense à m’exiler si tout va bien.
Mon chat Gris Gris est amoureux mais ma chatte (Mouchi) est trop petite, ainsi va le monde.
Je vous envoie quelques poèmes si ça vous intéresse.
Très affectueusement.

Claude Cahun reprendra ce terme d’exil lors de leur départ, cette fois, définitif, pour Jersey en 1937. Viendront alors des descriptions de la vie quotidienne à « La Rocquaise »[45], la maison de St-Brelade’s Bay, dans des lettres bien plus longues, associées en 1940 à des photographies, autoportraits, accompagnés d’une légende cocasse, vues de la maison, du jardin, des chats, destinées à distraire le soldat qui ronge son frein [Figures 16 [46], 17, 18, 19].

Claude et Suzanne mettent en scène par leurs collages et découpages, les scènes de la vie quotidienne dans de véritables lettres-objets ou scrap-letters, où s’invente un petit genre mixte de l’art épistolaire. Ainsi de la lettre adressée au Sergent Desnos en 1940 [Figures 20 et 21] ou de celle qu’elle envoie à Youki en dentelle de papier le 9 mars 1940 [Figure 22]. Ce sont des relations vivantes de la vie quotidienne à Jersey où l’écriture métaphorique permet de suggérer ce qui ne passerait pas le cap de la censure. L’écriture épistolaire a pris le relais chez Claude Cahun de l’œuvre autobiographique, auquel appartient encore Aveux non avenus, même sous sa forme de collage illustré de photomontages. François Leperlier a publié dans les Écrits les longues lettres qu’elle adresse à Gaston Ferdière ou à ses amis Barbier pour relater les épisodes de la Résistance à laquelle Suzanne et elle se livrent, par harcèlement et démoralisation de l’ennemi (250 pages) : on n’en est pas là, au début de la guerre, mais on voit néanmoins dans celle qu’elle envoie à Desnos comment la lettre devient journal de bord,  introspection et espace de vie commune dans la relation à l’autre.

 

Attachements et amours libres : géométrie triangulaire et capillarité amoureuse entre Robert, Youki et Foujita

La correspondance croisée révèle en Youki une personnalité haute en couleurs, forgée au contact de la vie agitée de Montparnasse et des amours multiples : l’égérie de Foujita et du Paris des années folles est dotée d’un fort appétit de vie. Ce n’est pas la misère familiale mais la mort de ses parents qui l’a conduite très jeune à gagner sa vie et peut-être aussi à profiter de chaque instant pour s’amuser ou s’étourdir. On peut se contenter de voir en elle une de ces femmes légères en quête de protecteur qui escortent nombre d’artistes à Montparnasse, néanmoins ses frasques et ses conduites irresponsables, son goût de la provocation et du scandale ne doivent pas dissimuler sa force de caractère, sa détermination. Elle dilapide sans mesquinerie les ressources des noctambules et espère comme Kiki, comme Fernande Barrey, la première épouse de Foujita, comme Thérèse, rencontrer un riche protecteur ou un peintre qui vende bien ses toiles [Figures 23 et 24]. Foujita, très épris d’elle comme en témoigne sa correspondance illustrée avec Youki, accepte de jouer ce rôle plusieurs années mais devant les ennuis fiscaux, l’importance croissante pour lui de la peinture et de la reconnaissance de son œuvre, souhaite en finir avec la vie trépidante et très collective dont leur maison de la rue Nansouty près du parc Montsouris est le théâtre. Dans ses lettres du Japon, elle manifeste sereinement un égoïsme confondant, un sens enfantin du plaisir de l’instant et un goût absolu de la liberté qui n’ont pas manqué de séduire Desnos.  Les lettres de Robert permettent de comprendre comment lui voit cette insouciance cruelle. L’amour inconditionnel qu’il lui voue engage une suspension du jugement moral : ce qui pourrait apparaître comme futilité, goût du luxe, indifférence à la souffrance de l’autre, il le vit plutôt, pour emprunter des termes qui ne sont pas les siens, comme un acte de dilapidation et de dépense au sens que Bataille donne à ces mots[47]. Desnos est fasciné par les êtres qui jouent leur va-tout, bravant le bon sens et l’éducation bourgeoise, sans même garder une poire pour la soif. Youki incarne cet être sans concession.

Les nombreuses lettres léguées par Youki ou acquises plus tard par la BLJD se répartissent sur plusieurs périodes. Si Desnos et Youki ont vécu ensemble rue de Lacretelle puis rue Mazarine[48], ils ont été souvent séparés, Robert s’activant le jour dans ses propres cercles, professionnels et amicaux, tandis que Youki vivait plutôt la nuit en électron libre, ou bien, sirène voyageuse, était en villégiature loin de Paris. Même à Paris, ses retours sont imprévisibles : Desnos lui laisse des billets dans leur appartement, espérant qu’elle passera ou le rejoindra chez des amis.

-de l’automne 1929 au printemps 1930, Youki qui est la femme de Foujita, entreprend avec ce dernier un long périple vers le Japon, où elle rencontre sa famille, ce dont témoignent plusieurs photographies jointes aux lettres. A leur retour, elle se retrouve seule dans le Midi, le peintre lui ayant faussé compagnie. Elle appelle Robert à l’aide.

- de l’automne 1930 à février 1931, Foujita part seul à New York pour tenter de vendre ses toiles et régler ainsi ses dettes fiscales, laissant Youki à Paris aux bons soins de Robert. Foujita écrit parfois plusieurs jours consécutifs une carte à son ami Robert pour lui décrire l’architecture et la vie new yorkaise ; Desnos joue les médiateurs ; il évoque le désarroi de Youki et ses soucis financiers, dont le dépôt de quelques tableaux à son intention chez un galeriste peu pressé de les payer ne saurait le dédouaner. Il convainc Foujita de lui laisser louer un appartement, rue de Lacretelle, où le peintre la retrouvera à son retour.

- en juillet 1931, au retour de Foujita, Youki fugue en Belgique ; Desnos est prêt à tout pour la rejoindre le temps d’un week-end, mais manque de temps et d’argent. Il tient dans ses lettres le journal de sa vie quotidienne dans l’appartement qu’il partage parfois avec Foujita, quand ce dernier n’est pas chez sa maitresse, Mady Lequeux.

- Dans les années trente, Youki part aussi souvent qu’elle le peut à la campagne, avec une amie ou des amis, à Marnay-sur-Seine, dans l’Aube, à Pierrefonds, non loin de Compiègne ou dans le Midi, tandis que Robert reste à Paris. Cela donne lieu à des échanges ponctuels, en 1933-1934 jusqu’au moment où la guerre et la mobilisation viennent modifier la distribution des rôles.

- Desnos mobilisé en 1939 est éloigné de l’appartement commun, désormais 19 rue Mazarine, et après un temps de formation à Nantes, se déplace selon ses affectations militaires et les aléas du repli et des marches forcées jusqu’à Surgères en Charente maritime, puis à Prats en Dordogne. Youki demeure en Corrèze avec une amie, Blanche, puis rentre à Paris. Robert la retrouve pour une permission de la fin décembre 1939 jusqu’au 10 janvier 1940. Leur correspondance reprend ensuite jusqu’à sa démobilisation. Dans ses lettres, Robert explique comment faire rentrer l’argent qui lui est dû, à qui s’adresser pour obtenir des aides, diriger les dons vers les soldats de sa compagnie, assurer l’approvisionnement, faire réparer quelques pannes et fuites, garder espoir, éviter les provocations sous l’occupation.

- En 1942, Youki est dans un village du Calvados chez des amis, tandis que Robert veille, rue Mazarine ; il fait un court voyage sur lequel il reste discret, revient à Paris, la rejoint quelques jours dans le Calvados, puis rentre à Paris.

- Arrêté en février 1944, Robert Desnos écrit à Youki du camp de Royallieu près de Compiègne, puis des camps où il passe successivement jusqu’à la dernière lettre de Flöha datée du 7 janvier 1945 [Lettre 3]. Dès l’arrestation de Desnos, Youki se dépense sans compter pour tenter de le faire sortir de Fresnes, puis s’organise pour porter les colis à Compiègne, multiplie les démarches pour le faire rayer de la liste du prochain convoi vers Auschwitz, pour faire parvenir les colis et ceux des amis dans les camps où il est interné. Sa dernière lettre datée du 13 juillet 1945 s’achève sur une déclaration d’amour, celle que Robert avait toujours attendue, où elle lui promet de rattraper le temps perdu ; Desnos est mort du typhus en juin au camp de Terenzín le 8 juin 1945. Elle lui donnait les nouvelles des derniers épisodes de la guerre « les 8 jours de bagarre » dans Paris, faisait la liste des amis fidèles, qui viennent chercher des nouvelles, et des oiseaux de mauvais augure qui ont annoncé trop tôt qu’on ne reverrait pas Robert Desnos ; elle évoque le sort des délateurs et en particulier de ceux qui ont contribué à sa déportation et achève sur ces mots : « Que cette lettre te parvienne à Terezin, soit à Moscou,et que tu la lises debout, souriant et en bonne santé. Je sais tout ce que tu as subi et le courage que tu as eu. Je consacrerai ma vie à te faire oublier ces cauchemars et à t’aimer et à t’entourer de bonheur. A bientôt, mon chéri, à bientôt. Je t’embrasse grand comme la tour Eiffel. Ta Youki[49].

Mystères du quotidien

Les secrets qui m’ont attirée vers les correspondances amoureuses de Desnos, ne sont pas de ceux qui font saliver les paparazzi ; c’est plutôt l’énigme initiale, cette étrangeté de l’être, de l’amour et de la poésie qui se révèle dans le plus familier et qui git dans la part la plus commune de la vie ordinaire. Les écrits épistolaires de Desnos affrontent ce quotidien que définit son ami Leiris dans Glossaire : J’y serre mes gloses! :

Quotidien — commun et tiède, tel demain aussi bien qu’hier[50].

Rien de tiède pourtant dans la vie quotidienne de Desnos. Quand il lui arrive en juillet 1931 ou en 1939-1940, à l’armée, de dénoncer l’ennui des jours vides c’est que Youki, sa source d’énergie, est au loin et qu’en son absence les tâches familières perdent leur raison d’être. Relation minutieuse de la platitude des longues journées et des soirées sans but, la lettre donne alors à voir le paradoxe du quotidien tel que le décrit Maurice Blanchot :

L’ennui, c’est le quotidien devenu manifeste : par conséquent, ayant perdu son trait essentiel – constitutif – d’être inaperçu. Le quotidien nous renvoie donc toujours à cette part d’existence inapparente et cependant non cachée, insignifiante parce que toujours en deçà de ce qui la signifie, silencieuse, mais d’un silence qui s’est déjà dissipé, lorsque nous nous taisons pour l’entendre et que nous écoutons mieux en bavardant, dans cette parole non parlante qui est le doux bruissement humain en nous, autour de nous[51].

Youki a seule le pouvoir de réenchanter le quotidien. En son absence, ses lettres, souvent de courts billets, font entendre cette « parole non parlante » qui lui porte sans doute moins un « doux bruissement » que les acouphènes du vide sidéral de la vie sans elle. Dans ces moments-là, le sentiment découragé de la médiocrité liée à la répétition vide des jours et des nuits est lisible dans sa relation au fil de la plume du petit manège de l’attente, des rencontres aux Deux Magots, au bar de la Coupole ou dans les bistros de quartier. La lettre soliloque à bâtons rompus sur l’atmosphère de la ville, l’humeur collective, les potins et bobards en circulation et pourrait produire l’ennui du lecteur, si Desnos était moins agile dans le rebond humoristique et le portrait caustique. Ainsi dans cet auto-portrait au bas de la lettre du 13/14 juillet 1931[52] où il trinque tristement à sa sirène chimérique [Figure 25] après un coup d’œil circulaire incisif [Lettre 4]:

Je termine cette lettre du bar de la Coupole. M. Maxime Alexandre au bar palit chaque fois que je le regarde. /A ma gauche Otto Vetcher parle de Marie Laurencin, a ma droite Charlotte Gardel ne dit rien ni Hermine non plus./Et moi je suis seul, tout seul, comme chaque fois que tu n’es pas là./Je t’embrasse/ Robert

De façon plus ou moins pressante, Desnos demande à Youki, dans les lettres de juillet1931 et  de 1939-1940, de ne pas se contenter comme elle le fait presque toujours, de billets rapides ou d’un mot vague pour caractériser ses journées, mais de lui raconter par le menu tous ses actes même ceux qui lui paraissent insignifiants. La lettre qu’il attend relève du journal, où tout doit être consigné, surtout les trous d’air ou ce que Breton nomme dans Nadja les « moments nuls », et c’est en poète qu’il en dégage toutes les implications linguistiques : la perte de substance des mots, usés dans les échanges indifférents, exigerait une nouvelle langue, secrète, propre aux deux amants.

[…] Toi qui me reproches si souvent de parler peu que diras-tu de cette lettre ? Je me méfie des mots. Ils résonnent si souvent mal, autrement qu’ils devraient, avec un sens excessif quand ils peuvent passer pour méchants, insuffisants quand ils sont tendres, et je te place trop haut pour me contenter d’un vocabulaire qui a pourtant fait ses preuves mais que je trouve indigne de notre affection. Comme je voudrais inventer un langage spécial, clair, précis, absolu pour te dire la moindre des choses. Mais il ne suffit pas de te dire que tu es belle et les raisons de mon attachement si le premier venu peut te dire les mêmes choses et moins sincère être plus facilement cru. Cela tient pourtant à aussi peu de choses qu’une note de musique, aussi arbitraire et aussi facilement fausse. A quelle heure vas-tu te coucher ? Te réveiller ? Comment dormiras-tu ? Quels rêves feras-tu ? C’est autant de choses que la distance me vole et dont on ne ressent l’importance que lorsqu’on est privé d’elles. Ah, il ne s’agit pas ici de renoncer à la matière, au concret, c’est là l’important. Tes beaux yeux, telle expression de ta bouche, tel geste, telle boucle de tes cheveux me manquent et du coup me manquent aussi ton intelligence et ta pensée et ce qu’il y a de plus profond dans ton être… Et c’est pourquoi ce vide est immense et pourquoi je souffre de cette séparation. J’ai erré aujourd’hui sans but en sortant de la gare[53].

À titre d’exemple, il se livre à l’exercice qui consiste à traquer jusque dans la médiocrité des journées l’empreinte de l’absente, dans une sorte de tentative à la Perec d’épuisement des lieux ou des dernières vingt-quatre heures. C’est bien l’énigme de son amour pour Youki, et le paradoxe du quotidien[54] que Desnos traque dans ces lettres où elle et lui livreraient le compte rendu de chaque minute vécue, de chaque pensée, un mystère qui est moins celui de la banalité que de la transfiguration de la scène du quotidien dès lors que l’être aimé y paraît. Aujourd’hui, ces traces de la vie quotidienne nous permettent de saisir les nécessités et les « barricades mystérieuses » qui commandent aux rencontres, aux séparations mais aussi aux rapports de pouvoir dans le couple ; elles nous découvrent les attractions physiques et les affinités électives, comme la distribution des rôles et les conduites récurrentes des amants. On y saisit le mythe lyrique en construction du chevalier poète amoureux et bafoué, qui prend en charge et transmue en destinée certaines constantes de sa vie amoureuse.

Énigmes de l’amour

À l’enquête surréaliste de La Révolution surréaliste « Quelle sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ? » Desnos répond par une critique en règle des présupposés de l’énoncé en quatre questions et conclut : « En définitive j’aime, je subis, je fais l’amour. Je ne le discute pas[55]. » La place du verbe « subir » entre « aimer » et « faire l’amour » n’a pas besoin de commentaire. Les lettres corroborent cette configuration amoureuse où, par ailleurs, le triangle domine : le film réalisé par Man Ray sur le poème-scénario de Desnos, L’Etoile de mer comme, en 1928, le drame publié dans Paris-Matinal, La Place de l’Étoile, mettent en scène ces trios amoureux avec passage de relais. Mais Youki n’est pas une passante comme Thérèse, Lilian ou Denise; elle n’a rien de l’ombre d’une ombre qui s’efface inéluctablement rongée par la drogue et la tuberculose, comme Yvonne.

Le voyage de Foujita et de Youki au Japon en 1929-1930, est l’occasion d’une première relation épistolaire suivie. Desnos écrit à « M. et Mme Foujita », et reçoit de l’un et de l’autre des lettres riches en impressions de voyage et en marques familières d’amitié. Il précède leur arrivée d’une carte de bienvenue[56] qu’il expédie dès leur départ de Cherbourg où il les a accompagnés, une attention à laquelle Youki se montre sensible. Cet échange met en évidence la prise de conscience de l’importance de Youki pour lui et réciproquement : malgré les joies variées du voyage elle lui laisse entendre qu’il lui manque et, lors du retour, qu’elle a hâte de le retrouver. Elle ne manque pas de rendre compte de la disette sexuelle à bord ou des bonnes fortunes possibles. Ces lettres hautes en couleurs sont enluminées des dessins de Foujita et des décalcomanies de Robert. Dans les mois qui suivent le retour de Youki, la vie à trois, plus quelques chats, même si Robert, le peintre et les chats s’entendent bien, est consentie plutôt que choisie. La relation du voyage en Bourgogne des quatre protagonistes, réunis pour une randonnée le 17 août 1930 (Foujita et Youki, Robert et le neveu de Foujita, Ashihara qui a le bon esprit de dormir presque tout le temps) peint une cohabitation idyllique dans un récit autobiographique joyeusement fictionnalisé, où l’on voit Robert en vaillant marcheur, bon buveur, secourant les randonneurs défaillants, partant en éclaireur négocier les questions d’intendance avec les aubergistes et aménager les itinéraires, anticipant les défaillances des protagonistes et la fatigue de Youki. Le voyage a-t-il permis une prise de conscience, accentué le détachement de Foujita ? Alors qu’il séjourne avec Youki à Saint-Tropez, chez Derain, le peintre part à Marseille rejoindre sa maitresse, la laissant seule à l’hôtel à Toulon, sans explication, à la grande inquiétude de cette dernière qui fait appel à Robert pour le retrouver. Desnos ne peut tout à fait cacher sa joie[57]. Youki télégraphie le 1er septembre : « Foujita introuvable. Parti hier de Marseille. Suis dans une mortelle inquiétude. Prière faire impossible pour me donner nouvelle. »/ « Viens immédiatement à Toulon. Sois sans inquiétude pour l’argent[58]. » En bon détective, le poète multiplie les démarches[59] et écrit même à Monsieur Lequeux, l’amant de Madeleine, de son nom d’épouse Madeleine Barclay, alias Mady Dormans de son nom de scène (elle travaille au Sphinx le jour et au Casino de Paris le soir ). Robert répond à Youki le 3 septembre 1930. « Enfin on s’en fout et on rira bien quand on se retrouvera tout à l’heure aux îles d’Hyères. Ecris-moi vite. Si tu savais la joie que me fait la moindre de tes cartes, tu hésiterais moins à m’écrire. Je vais tâcher de voir Mado pour la décider à partir avec moi. J’espère toujours avoir un permis ce qui faciliterait les choses. Mais tout s’arrangera. »  C’est finalement avec Georges Auric qu’il descend en voiture dans le midi, le 6, adressant en chemin quelques télégrammes et mots griffonnés sur leurs aventures mécaniques [60]. Passé ce moment euphorique et la période d’idylle au soleil[61],  le ciel se gâte.  Foujita acculé par les ennuis fiscaux, les dépenses de Youki et la présence indéfectible de Robert, décide de partir seul à New York en septembre 1930, pour prendre des contacts, exposer et vendre si possible ses toiles. Il confie Youki aux soins de son chevalier servant, un rôle que Desnos prend très au sérieux comme le prouve sa correspondance avec le peintre, à la BLJD et à la Bibliothèque Kandinsky[62].

Foujita envoie parfois plusieurs jours de suite à Robert des cartes postales de New York, vues de gratte-ciel et considérations sur l’architecture qui soulignent que ce qui le lie à Desnos c’est d’abord la passion de l’art et l’exercice d’un certain regard. Il le remercie de ce qu’il fait pour Youki mais parle surtout de ses marches exaltantes dans Manhattan.  Desnos écrit à Foujita pour lui donner des nouvelles de Youki, de ses difficultés financières surtout : le galeriste auquel Foujita a laissé des toiles refuse d’en régler le montant, alors que Fernande Barrey, de son côté, écrit à Youki pour demander sa part. Robert alerte le peintre (Lettre du 23 novembre 1930[63]), revient à la charge pour le prier d’intervenir fermement près du galeriste :  « je t’écris directement au sujet de Youki. Elle est très déprimée, très ennuyée. Weill ne la paie pas… Dans l’intérêt de votre bonheur, il ne faut pas laisser Youki se désespérer comme cela avec les réclamations de fournisseurs, pas d’argent parfois pour payer la blanchisseuse[64]. »

« Dans l’intérêt de votre bonheur » ? est-ce vraiment aussi le sien ? On ne saurait pousser la loyauté plus loin : il suggère à Foujita de lui laisser louer un appartement pour elle, où Foujita la retrouvera à son retour. On le voit chercher avec zèle cet appartement qu’il trouve finalement rue de Lacretelle, soumettre à Youki la description des lieux, s’occuper du déménagement et de la vente des meubles superflus. Il semble parfois piqué au vif par l’indépendance de sa « protégée », sans renoncer à ses fonctions chevaleresques.

« Ma chère Youki »

Puisque tu ne veux plus me voir, puisque je te [veille ?] je te remets sous cette enveloppe le carnet de chèques. Je te ferai parvenir le montant exact du compte dès que la banque me l’aura donné.
J’y verserai d’ailleurs le plus tôt possible la somme que je vous dois (environ cinq mille francs) que vous avez été si chics de m’avancer.
Fais mes amitiés à Foujita et continue à me croire dans tes moments de tranquillité d’esprit le meilleur et le plus sûr de tes amis.
Robert

P.S. Avec ceci un paquet d’objets oubliés lors du déménagement. Si j’en trouve d’autres  je les porterai aussitôt.
J’enverrai de même Le Voyage en Bourgogne dès qu’il sera terminé. Il fait d’ailleurs son petit bonhomme de chemin plus vite mais moins gaiement que nous-mêmes entre Tonnerre et Beaune[65].

Les lettres de Foujita à Youki, envoyées de New York en février 1931 le montrent pressé de la rejoindre, mais le retour ne tient pas ses promesses. Youki laisse Foujita et Robert seuls rue de Lacretelle tandis qu’elle part chez son cousin Frank Vleminck à Linkebeeck près de Bruxelles, pour « faire la bombe » selon son expression.  Foujita se console avec sa maitresse Madeleine Lequeux. La correspondance entre Youki et Robert reprend : billets de l’une, longues lettres de l’autre. Les lettres fleuve[66] sont une façon d’être près d’elle, et détaillent les activités de la journée, les démarches multiples auprès des journaux, des relations, les amis qu’on rencontre, les soirées arrosées. Il y fait aussi le compte rendu de ses efforts pour obtenir de Foujita l’argent dont elle a besoin à Bruxelles. Après sa visite en Belgique et l’échange qui suit, dans lequel il lui fait part de sa déception, de son incertitude sur ses sentiments à son égard, il ajoute le 28 juillet : « mon retour a été épique. J’avais juste de quoi prendre le métro et un café… Mais si Foujita n’avait pas eu d’argent je ne me serais pas couché avant d’en avoir trouvé pour te l’envoyer[67] ». Youki expose dans ses lettres à Robert son exaspération devant la place que la peinture tient dans la vie de Foujita regrettant que ce dernier ne puisse jamais partager avec elles quelques jours de vacances. Un vœu qui ne se réalisera pas… Foujita, quittant la France avec Madeleine, avertit Youki par un billet laconique : « adieu, je pars. Aies bonne santé, laisse-moi partir et ne cherche pas après moi, aies pitié de moi. Je pars pour toujours. Je t’embrasse pour la dernière fois et sois heureuse. » Il ajoute : « Cherche une lettre pour toi dans le tiroir de ma table/[1erau fond]/ basse. Tu me comprendras[68]. ». Cette deuxième lettre bien plus longue confirme que la vie avec elle lui paraît trop instable pour qu’il puisse se consacrer comme il le souhaite à son œuvre.

ma vie est finie, je suis fatigué et vieux, je n’ai plus la force à lutter à Paris… ne cherche pas après moi, je t’en prie, ne m’embête pas. Laisse-moi dans la simple vie que je rêve encore avec un peu d’espoir. Tu as maintenant un fidèle ami, Robert, il est très gentil et quelle admiration pour toi. Il ne quitte plus avec toi, il m’a pris ma place, au fond tu vis avec lui, et pour lui tu es plus chère au monde… au fond tu n’es pas née pour moi, tu ne comprends pas mon désir, tu bois trop, je n’aime pas l’alcool, qu’est-ce que tu veux, ce n’est pas ta faute ni moi non plus, tu aimes la gaîté, rigolade, mais moi je suis trop sérieux et toujours pensée calme et triste.

Foujita ajoute pour Desnos :

Merci de tout ce que tu m’a fait et pour Youki tu feras encore ton fidèle amitié. Merci, merci, je n’ai plus besoin de rester ; tu as un destin de occuper Youki. Merci[69].

On peut s’interroger sur certaines de ces formulations, les attribuer aux difficultés lexicales d’un locuteur japonais, ou y entendre de l’amertume voire de l’ironie. Robert ainsi désigné comme successeur légitime, sait, lui, qu’il ne va pas vers « la simple vie » comme dit Foujita –heureusement, ce n’est pas ce qu’il désire. Et Youki n’a pas décidé de « se ranger ».  En témoignent des billets et petits mots en 1931, où Desnos lui donne rendez-vous, annonce sa visite, attend un signe, et recule d’heure en heure, de jour en jour, le terme de son attente, chez lui rue Blomet  ou rue de Lacretelle, de peur de la manquer :

Il est huit heure moins dix. Je suis tellement seul sans toi. Je vais voir si Guita est chez elle sinon je reviendrai…. Je suis revenu de bonne heure… Téléphone chez Schwob si tu as quelque chose à me dire… sinon je reviendrai ici…[70]

Où es-tu ? Rien de toi. Pas un signe ! je vais chez Fraenkel déjeuner. Cette attente me prise le cœur. Je vais aller jusque chez Guita[71] (il est sept heures moins le quart). Si elle n’est pas là, je reviens c’est-à-dire que je serai là à huit heures moins le quart. Si elle est là j’y resterai une partie de la soirée et reviendrai te voir… si tu es là laisse un mot si tu veux tu seras bonne. Si tu veux venir chez Guita tu me ferais une grande joie. Si tu n’as pas le désir de me voir mais de la voir tu n’auras qu’à me le dire je partirai… et je ne devrai pas écrire mais je ne ruse pas avec toi. Je parle à cœur ouvert. Cette solitude me pèse il est huit heures… »

Dimanche, seize heures./ Tu m’avais dit de venir, que tu serais là. Je t’avais dit que je viendrai mais  tu feras comme tu voudras… Tu n’es pas là… je suis très malheureux. Mais je ne te reproche rien.

À 18h45 il ajoute un argument de poids en des termes qui le montrent assez secoué par cet amour tout en montagnes russes :

Je crois avoir bientôt l’argent. Mais la seule chose à quoi je pense c’est toi et quelque chose me dit d’espérer, d’espérer. Ah, ne me fais pas retomber plus bas. […] Me voici revenu dans la maison vide. Tout l’après-midi j’ai espéré un coup de téléphone, un signe de toi. J’espérais trouver en rentrant ne fût-ce que la trace de ton passage. Une enveloppe ouverte –un peu de ta présence— ton parfum. J’ai le cœur gros comme un enfant. Ne m’abandonne pas ne me laisse pas tomber de plus haut, rappelle-toi tes paroles. Les promesses de ces jours derniers… il n’est pas un endroit où je vais qui ne me dise que tu n’es pas là. Ces livres que j’aime, c’est à cause de toi que je les aime. Chérie, j’en crève, j’en crève… mon chérie je t’importune. […]
Mille baisers ma chérie j’ai encore dans la bouche l’odeur de ta chair et je vais la garder tout le jour en rêvant à toi. »

Les poèmes du « Livre secret » offert à Youki  en novembre 1932 [figure 26], exemplaire manuscrit unique semé de gouaches du poète, évoquent  sa solitude, ses larmes, le lit déserté. Youki en dépit de tout est le visage de son amour ; une seule certitude : elle lui est destinée. Leur relation amoureuse ne se conçoit pas sur le modèle d’une vie de couple installé –non que Desnos n’y aspire pas mais il semble ne pouvoir aimer que des femmes qui ne correspondent pas à ce modèle et ont de leur liberté une idée à peu près égale à la sienne. Desnos, qui fut en tiers le confident des amours lesbiennes ou bisexuelles d’Yvonne George, est avec Youki en position d’amant soumis au charme d’une dominatrice, ce qu’il met en scène non sans humour dans ses dessins. Les correspondances permettent de saisir dans son expression la plus directe la fascination du naufrage amoureux que thématisent dans son œuvre graphique, narrative et poétique les métaphores du paquebot en train de sombrer. Il n’empêche que dans les années trente, tous deux deviennent un couple aux yeux de leurs amis, que la rue Mazarine est un foyer vivant où l’on se retrouve, entre amis, sans avoir besoin de s’annoncer, pour écouter des disques, boire un coup –plusieurs.

Cet amour qui se vit sur le mode de la dépendance et de l’incertitude engage le poète dans une guerre de conquête. L’être aimé installe un rapport de force, refuse de lui donner une assurance, le maintient en suspens, retenant son souffle dans l’attente de la catastrophe toujours possible. Youki alterne les déclarations d’indépendance, de détachement, et les protestations amoureuses qui n’ont pas toutes de quoi le rassurer ; ainsi dans cette lettre envoyée du Japon

Je ne fais pas l’amour et c’est fâcheux pour mon tempérament, mais enfin, pas trop malgré tout… Enfin, je t’aime bien, tu sais et vrai tu me manques.

Le rôle que Desnos se reconnaît est celui de tuteur responsable et protecteur qui doit permettre à Youki de vivre selon ses désirs –il lui revient de gagner l’argent qui doit lui permettre de voyager, d’aller en villégiature avec une amie ou un ami, de porter de beaux vêtements, de boire du champagne en joyeuse compagnie. Il ne se reconnaît aucun droit à rien réclamer en échange, ni la vie commune, qui s’impose peu à peu, ni le sexe, encore moins l’exclusivité. Sans aucun aveuglement, comme en témoignent ses mouvements d’humeur vis-à-vis de « mon amie Youki qui me tourmente si souvent, qui n’est ni douce ni tendre et dont je ne peux pas me passer bien qu’elle se passe aisément de moi et qui dira peut-être en lisant cette lettre que je suis un emmerdeur et que je ferais mieux de garder mes beaux sentiments dans mon stylo et ma personne à Paris. Qu’importe, je ne crois pas un mot de cette dernière phrase et j’espère bien qu’elle pense à moi comme je pense à elle[72]. »

Bien des lettres de Desnos à Youki et quelques cartes postales la rejoignent sur des lieux de villégiature, où elle ne va pas seule. Desnos lutte contre sa propre jalousie, sa colère, parfois, contre ses inquiétudes matérielles souvent, fidèle au contrat qu’il a passé avec lui-même de lui assurer par tous les moyens la vie libre et insouciante qui la rend heureuse. Comme Marie-Claire Dumas l’a déjà montré, il trouve aussi son compte à cette vie toute en bourrasques, pics et dégringolades. Ce qui n’exclut pas une certaine violence. Les témoignages des amis montrent que le climat rue Mazarine peut être parfois plus qu’orageux et que les assiettes volent.

Les lettres des années trente prodiguent non seulement des conseils mais des plaintes et des reproches sous-jacents, assortis de dénégations, de protestations de soumission : « comme il te suffit de peu de mots pour panser les blessures que tu fais. On comprend que tu n’y regardes guère » écrit-il le 13 Juillet 1931[73]. En ce début des années trente, il court entre les travaux alimentaires, travaille quelques heures par semaine chez un administrateur de biens, Léon Schwob de Lure, pour assurer une rentrée d’argent régulière. Entre les contributions très aléatoires aux revues, il s’occupe des litiges avec les locataires de 14 à 16 tous les jours :

Oh la la, j’en ai marre du métier que je fais. Passe encore pour le travail, mais ça ne rapporte pas assez. J’y resterai jusqu’à ce que j’ai trouvé quelque chose de mieux à tout prix[74].

Les activités publicitaires et radiophoniques assureront bientôt des rentrées plus substantielles. L’amour et la tristesse l’emportent sur les reproches, comme l’atteste cet autre passage de la lettre du 12 juillet 1931 citée plus haut :

Paris sans toi est bien désert en dépit de quelques amis qui dansent devant les estrades autant que devant le buffet. C’est te dire que je m’ennuie de toi et que cette fausse gaîté n’est pas faite pour me distraire… Je voudrais savoir si tu penses à moi là-bas. J’ai peur de cette distance qui nous sépare et je ferai l’impossible pour aller te voir samedi prochain…[75].

Le ton en cette période où Youki s’amuse à Bruxelles est désabusé, d’ailleurs les quelques amis encore à Paris en ce mois de juillet semblent tous, à l’en croire, pris de dépression. Errant avec Pierre Batcheff et Jacques Prévert dans « la rue de Lappe presque vide », il écrit deux jours plus tard : « J’ai vogué sans but jusqu’à 7h30 où j’ai rencontré aux 2 Magots, Jeanson et sa femme qui attendaient les Achard. Nous avons dîné aux Capucines… Après quoi nous avons été […] voir Stroheim dans la 2e moitié de la symphonie nuptiale intitulée Mariage de Prince. C’est BEAU. Imagine les Hauts de Hurlevent et Ligeia (sic??) [76]  Je ne te raconte que ça. Il faut voir. Les larmes vous viennent aux yeux et ce qu’on se sent fort après. La veulité sentimentale ou la sentimentalité veule. Quel génie. C’est beau, beau, beau et si simple. Nous verrons cela ensemble[77]. »

Ce spectacle le bouleverse et les associations littéraires qu’il convoque n’ont rien d’anecdotique : Ligeia dans la mythologie grecque, est une Néréïde, fille du dieu-fleuve Achéloüs et de la muse Calliope, dont le nom signifie « à la voix claire et perçante » – une muse à la voix de sirène, en somme, à laquelle on ne peut faire la sourde oreille, tout à l’inverse de « la voix de Robert Desnos » telle qu’elle apparaissait dans le fameux poème éponyme de Corps et biens. À cette voix orphique du poète, les éléments, les animaux, les objets obéissaient, mais pas Yvonne, la femme aimée. Le scénario se répète.

Beaucoup de ces pages disent la soumission, le désarroi ; le registre sentimental, la supplication, ne semblent pas susceptibles de séduire Youki, qui l’appelle « mon amour adoré » un jour et lui bat froid le lendemain, sans condescendre à s’expliquer sur ses humeurs. L’imprévisibilité même au sein du quotidien est ce qui l’attache : « Tu es si extraordinaire, aussi, comme un ciel d’été où l’orage et le soleil et la pluie se succèdent sans arrêt sans que rien puisse laisser prévoir quand, comment et pourquoi… » . Desnos est aussi capable de comprendre « ce qu’il y a dans [sa] jolie tête à [son] égard » (Lettre du 28 juillet 1931) –l’angoisse du manque, la hantise du dénuement ? – que d’analyser sa propre posture d’amant meurtri. L’amour de Robert pour Youki est plus proche de la dépendance érotique, ou plutôt de la dépendance érotisée. Le plaisir reste lié à la souffrance, dans ces deux lettres de 1931 dont certains termes évoquent le poème « Non l’amour n’est pas mort »[78]:

Mon amour. J’ai bien le droit de t’appeler ainsi Youki : j’ai réfléchi tout recommence. À nouveau je dois te conquérir et c’est bien la dernière fois que je fais allusion au passé. Tu es ma femme. Nulle autre ne prendra ta place. Plus j’y pense plus je me crois responsable de ce qui se passe. Ai-je voulu souffrir à nouveau ? Je le croirais tant la souffrance que tu me causes m’est chère. Mais ce n’est pas cela. Il y a plus que cela qui me rattache directement à toi. Mais je ne t’en infligerai pas le spectacle. Tu seras mienne. Car tu ne l’as jamais été. Tout recommence… Ai-je vraiment voulu détruire à mon insu ce que j’aimais le plus au monde. Si cela était toi, ce serait faux. Si c’est mon amour, je l’ai doublé. Que dis-je : avant est méprisable. Il naît aujourd’hui où je suis seul et où toute pitié m’est une insulte. J’ai vécu mon âge pendant quelques jours. Depuis midi j’ai retrouvé ma jeunesse, que je dois conserver pour être digne de toi… Non, je ne renonce pas. Comme aux jours de la grange-Blomet, j’attendrai que tu viennes et tu viendras. Ma vie est belle de t’avoir connue, de t’avoir comprise. S’il le fallait, je changerais de nom et de visage pour te retrouver, pour te rencontrer. Nous ne nous connaissons pas. Nous venons de liquider un passif. C’est aujourd’hui que Foujita est parti. Il y a quelque part par le monde une Youki qui marche vers l’horizon cheveux au vent et la cherchant, Robert[79].

L’écriture épistolaire atteint par endroits, dans son emportement même, au lyrisme du poème. Ailleurs, il confirme, en termes plus crus, ce qui désormais balaie toute incertitude dans des termes que ne désavoueraient pas Corsaire Sanglot et Louis Lame, deux adversaires à la taille l’un de l’autre :

En dépit de tout, en dépit de l’amitié même que je puis porter à certains, en dépit d’une loyauté à laquelle je n’ai jamais failli, vous serez mienne. Mon cœur est aussi jeune que voici dix ans alors que j’espérais être aimé. Et j’espère être aimé. La seule différence est que j’ai déjà aimé bien inutilement et que je vous aime. Riez ! Sans orgueil, ni vanité, nous sommes à la taille l’un de l’autre. L’amour le plus pur, le plus céleste est le même que le plus dépravé et j’aime tout en vous depuis cet esprit libre, révolté qui est le vôtre jusqu’à votre cul, le plus beau du monde et dont l’odeur m’est chère… Youki, je garderai pour moi certaines histoires mélancoliques que je me conte à moi-même dans les nuits de solitude, je garderai ma jalousie. J’ai assez désespéré pour tout supporter au nom de l’espoir et pour un seul baiser sincère de votre bouche[80].

On retiendra l’ambiguïté de cette formule, « je garderai ma jalousie » : aussi bien « je n’en dis rien, je la garde pour moi » que « je la conserverai envers et contre tout ». En novembre 1932, il révise son testament en sa faveur[81] parce que, dit-il, « je [te] suis redevable des seules  joies que j’ai connues ».

Dans une lettre simplement datée « Dimanche »  où il résume les derniers actes de sa course aux finances pour payer les factures, adressée à Youki alors à Marnay[82], il l’informe que Gaston Ferdière est d’accord pour commencer avec elle une analyse, puisqu’elle le souhaite, et s’en réjouit :

J’en suis bien heureux. Nous nourrissons toi et moi des fantômes qui s’interposent entre nous. Il n’est que temps de les tuer une fois pour toutes. Je n’ose espérer que tu m’aimeras pour cela mais tout de même…
Quant à moi, je serai si heureux d’avoir une Youki assez libre pour ne pas craindre de perdre sa liberté à chaque baiser. Une Youki qui ne soit plus en liberté provisoire et qui réponde enfin à mon immense tendresse qui, pour une fois, n’est pas l’ennemie de l’amour.
Je t’embrasse ma chérie

On note l’ambiguïté de cette liberté consentie à Youki. Desnos, comme dans la famille bourgeoise traditionnelle, entend par son travail, dût-il multiplier les chroniques et petits travaux, faire vivre sa compagne pour lui procurer la vie insouciante et luxueuse à laquelle elle aspire. C’est lui qui s’occupe des détails matériels, retient les chambres d’hôtel, envoie l’argent des billets de train, prévient ou affronte les ennuis que son tempérament pourrait attirer à une sirène rebelle, en l’occurrence, une amende pour lumière nocturne en période de couvre-feu, une insouciance plutôt dangereuse dans Paris occupé, une plainte des voisins pour tapage nocturne lorsque Youki invite les amis à dîner. C’est encore lui qui tente de résoudre les difficultés à payer le loyer, trouver du charbon, garder un toit. Les lettres de Desnos en 1939-1940, très protectrices, prescrivent des panoplies de solutions, d’amis à contacter, de démarches à entreprendre. Or, c’est une autre forme de pouvoir sur l’autre, paradoxale, ici, puisque dans une société où il revient à l’homme de faire vivre sa femme –une façon de la garder à la maison et de la rendre dépendante–,  il s’agit au contraire pour Desnos de lui donner les moyens de sortir en bonne compagnie, en reine de la fête, sans qu’il s’autorise à revendiquer le statut de propriétaire exclusif. Youki, de son côté joue comme les demi-mondaines de la fin du XIXe siècle de cette image de la femme légère, qui a besoin d’être entretenue comme le peintre a besoin d’un mécène. Ni épouse et mère ni travailleuse exploitée, elle affiche agressivement ce choix existentiel et entre l’amour et la liberté qu’elle semble juger incompatibles, elle a choisi la seconde de quelque prix qu’il faille la payer –ou la faire payer.

Barthes a décrit dans Fragments d’un discours amoureux, les contradictions dans lesquelles se noie l’amoureux jaloux, qui s’interdit de l’être. Il parle après 1968 d’une nouvelle casuistique, née au sein de la génération hippie et de la vie communautaire qui apparaît alors comme une alternative au couple traditionnel présenté comme la cellule de base de la société capitaliste fondée sur la propriété et le pouvoir. Il y voit l’origine et le fruit de la répartition genrée des tâches et rend compte de la situation qui se crée dans les stratégies amoureuses au temps de l’amour libre sans oublier les conflits intérieurs qui en résultent. Mais la circulation amoureuse, le partage qui s’instaure dans les groupes artistes des années vingt et trente montrent que sur ce plan aussi les avant-gardes ont cherché des alternatives à la morale dominante, avec plus ou moins de succès[83]. L’analyse de Barthes au chapitre de la jalousie ne s’applique pas seulement, comme il le croit, à un certain état d’esprit post-68 :

(Conformisme inversé : on n’est plus jaloux, on condamne les exclusives, on vit à plusieurs etc. –Voire !-, voir ce qu’il en est réellement : et si je me forçais à n’être plus jaloux par honte de l’être ? C’est laid, c’est bourgeois, la jalousie : c’est un affairement indigne, un zèle –et c’est ce zèle que nous refusons.)

Barthes conclut ainsi  le chapitre:

[…]  Comme jaloux, je souffre quatre fois : parce que je suis jaloux, parce que je me reproche de l’être, parce que je crains que ma jalousie ne blesse l’autre, parce que je me laisse assujettir à une banalité : je souffre d’être exclu, d’être agressif, d’être fou et d’être commun[84].

Ces quatre souffrances sont présentes dans les lettres de Robert, qui ne se reconnaît pas le droit d’être propriétaire du corps de Youki, ni de ses pensées et de ses désirs, et se trouve ainsi dévoré par une souffrance non légitime; il se sent  coupable de son propre désir dès lors que, limitant la liberté de l’autre, il nierait sa souveraineté. Mais ce que n’envisage pas Barthes dans ce chapitre, c’est que cette souffrance amoureuse soit source de jouissance : être exclu, être en tiers, témoin, telle est de façon récurrente la posture que lui réservent avec une certaine constance ses choix amoureux ; c’est une place qu’il travaille à maintenir dans la relation triangulaire de 1929 à 1931.

Cette relation que l’on a vu se construire dans l’amour, mais aussi la frustration et la violence, évolue considérablement au début de la guerre et pendant l’Occupation. La tendresse, l’inquiétude, la sollicitude se teintent de gravité et Desnos implique désormais Youki dans le quotidien –parce qu’il ne peut pas faire autrement, étant « sous les drapeaux », mais aussi parce qu’il envisage de plus en plus, tout en lui écrivant le contraire, sa propre mort et veut lui donner les moyens de s’assumer matériellement, en quelques brèves leçons : qui solliciter, quels droits faire valoir, comment faire rentrer ce qu’on lui doit. En bon soldat fourrier il lui adresse des demandes de fournitures et rend compte des colis qui arrivent ou n’arrivent pas, pour lui-même mais plus souvent pour les soldats de son régiment : elle est une bonne médiatrice pour obtenir des dons, faire rentrer les aides prévues par l’état et les sommes dues pour son travail à la radio ou promises par des amis fidèles. Il compte aussi sur elle désormais pour veiller au grain auprès des éditeurs. Ce souci devient lancinant dans les lettres écrites de Compiègne lorsqu’il sent que le piège se referme avant qu’il ait pu voir l’aboutissement des publications envisagées. Dès le début des années quarante, ses lettres planifient les publications à venir, avec un sentiment d’urgence très perceptible.

Ce qui, finalement, apparaît comme une constante dans toutes les lettres de Desnos, c’est la détermination sauvage d’être heureux. En 1931, à un moment où il doit impérativement assurer la vie de Youki, Desnos écrit à Foujita qui est à New York sur un ton léger qui lui permet de dire quand même ses difficultés :

Je fréquente toujours le Mont-de-Piété, ma tante, le clou, le Pégale et je m’y fais de solides relations. A part cela la vie continue sans grande rigolade. J’espère arriver à me débrouiller. Ce n’est pas commode mais quand le diable y serait il faudra bien que la misère fiche le camp.

À Youki, il multiplie les déclarations d’espoir et s’adresse à lui-même des injonctions rituelles à la Fortune et au bonheur, tout particulièrement quand il doute de son amour, comme dans les moments de dèche, quand il sent Youki distante :

[…] Je sais bien que le manque d’argent n’est pas drôle, je ne le sais que trop, mais enfin il ne faut pas t’exagérer les ennuis. Ça se tassera sûrement. J’en suis sûr et la preuve, c’est qu’au moment où tu lis cette lettre cela va déjà un peu mieux[85].

Le 1er septembre 1939, le ton est plus grave et Desnos attend son ordre de mobilisation pour Nantes, qui arrivera le 6 septembre. Youki est à Argentat avec une amie, Blanche. Il lui écrit :

Ma chérie chérie
Les carottes ne sont pas encore cuites mais elles sont sur le feu. Je pars le 5eme jour c’est-à-dire mercredi.
Je t’envoie de l’argent…. J’espère qu’il te parviendra rapidement. Dis-toi bien que ma seule tranquillité c’est que tu sois pour l’instant où tu es. Vas-y doucement pour l’argent. C’est ma seule préoccupation. Moi je m’en tirerai toujours. Fais attention à tes propos. Sois calme, très calme, amuse-toi autant que tu le peux mais n’aie plus d’opinion. Ne crois à rien. Ne crois qu’une chose : c’est que tu es vivante et moi aussi. Ton aide pour moi c’est que aides ta vie. Ne te tourmente pas pour moi, je me charge de moi. Reste à l’abri. Dès que tu pourras quitter Argentat moi, ou Sammy ou un autre, nous te préviendrons. Je t’en prie sois surtout calme…  ne bois pas. Un monde que nous aimions se termine. Soyons prêts pour le futur.   Chérie je t’embrasse, je t’embrasse mile et mille fois sans croire encore à la cochonnerie de guerre. Je m’occupe d etout. Les chattes seront en sûreté. Je pense à tes fourrures, à tout. Tu verras.
Chérie ne t’inquièe pas. Ces mois passeront comme les autres et nous nous retrouverons tous les deux au gouffre de Padirac, ou ailleurs.
[…][86]

Dans les petites difficultés de la vie quotidienne comme dans les grands désastres, Desnos, champion de la méthode Coué, diffuse résolument, et surtout en temps de guerre, un optimisme propitiatoire. Cette technique du « bonheur forcé », comme il écrit des « poèmes forcés » en 1936, devient une méthode de salut dans les années noires. Après les lettres de l’automne qui dénoncent l’ennui, l’enlisement (12/10/39 « Ma chérie. Rien de nouveau comme de juste. C’est vraiment la barbe. On s’installe. Pour un peu on sèmerait des graines pour le printemps. […] », on trouve dans les lettres de la « drôle de guerre » des instants de grâce, Robert tentant de faire partager son émerveillement devant la tranquille beauté de la forêt, devant les ressources que se découvrent les humains, dans cette situation étrange qui fait qu’en pleine guerre on a le sentiment d’être sur un vaste chantier où chacun travaille paisiblement en bon artisan ou en bon agriculteur dans une nature champêtre. Un tableau qui ne lui dissimule pas la cruauté de l’évacuation du village où les soldats prennent le relais des vieillards dans les fermes.

26 mai 1940

Ma chérie
[…]
J’ai pu évacuer le village, mesure de sécurité légitime et rassurante pour les soldats. Mais quoi ? Ces maisons pimpantes, pleines de géraniums cachaient tous ces vieillards. Les Philémon et Baucis (180 ans à eux deux) s’en vont calés entre des ballots trainés par des vaches. Ailleurs cette vieille femme née en 1843 sous Louis-Philippe, prend le même omnibus et dans son français très pur d’avant 1870  nous dit : « Je vivrai assez longtemps pour voir mourir Hitler ». D’autres cachent leurs sentiments. Ceux-là sont la cause de l’exode. La caravane s’en va entraînée par les pleurs, les sanglots des grands et les rires de petits pour qui commence la grande aventure de la vie. Comme toujours ceux qui ne possèdent rien pleurent le plus fort. La nuit tombe. Le meuglement lointain des vaches attelées répond à celui des veaux abandonnés. Et tout est vide de civils. Le lendemain le village est désert comme par un dimanche mais nos bonshommes avant de partir pour travailler se sont levés dès 2 et 3 heures du matin. Les vaches sont traites, les veaux allaités, les cochons nourris, un grand gaillard moustachu imite la voix de la fermière et crie « come, come, come aux poules à qui il jette le grain. Les hommes partis le village est mort. Je fais mes « états » près de la fenêtre et je regarde la route vide, j’entends le bourdonnement des insectes qui accentue le silence. Mais quelle impression de sécurité. Le rideau est tiré entre la scène et la salle. Nous sommes entre hommes. Le maquillage ne sert plus à rien. Plus de trac. Le moral est bon. Au soir, on vient chercher les vaches. Elles errent d’abord en tous sens avant de se former en troupeau. Un taureau chevauche les femelles à tour de rôle. Ça meugle et ça gueule et ces cris rejoignent les cris des anciens âges, jusqu’aux forêts d’il y a deux mille ans où l’aurochs broutait l’herbe des collines. À deux kilomètres du village on enten encore leur meuglements. Les petits veaux ont suivi. Ceux qui pouvaient marcher. Il fait beau, calme et tout devient viril parce qu’il n’y a plus de femmes et que désormais les hommes ne pensent qu’à elles. Mes copains de la cavalerie ne sont plus là. Et je t’écris du bout du silence, calme, heureux d’avoir de tes nouvelles et plus rassuré que jamais.
Tendres baisers
Robert[87]
P.S. L’histoire Soutine me paraît très bien. Le pays est beau, souviens-toi de Noyers. A l’Ille s/Serein, il y a notre bouquiniste, le vieux. Mais, c’est un pays à vin, près de Chablis. Ne fais pas de bêtise.
Baisers.
R.
Ma sœur et mon beau-frère ont des parents très gentils à Peily s/Serein. Mais je crains que tu les effraies. Fais bien attention.

C’est l’ensemble des lettres de Desnos, recueillies dans les actes du colloque de Cerisy, devenus difficiles à trouver qu’il faudrait citer, la précédente donnant seulement un aperçu des qualités d’écriture de cette partie de la correspondance qui restitue les bruits et les mouvements, pour passer du visible au plus profond, l’état d’esprit de chacun, sur ce « théâtre de la guerre » où le rideau « est tiré ». On remarque l’insistance –pour Youki ?- sur « l’impression de sécurité », le calme, le désir, l’efficacité muette. On y rencontre au passage Mouloudji « qui est un bon gosse », Jean-Paul Sartre dont « le nom [lui] dit quelque chose », Jean-Louis Barrault, un ami très proche du couple,  qu’il a le bonheur de retrouver dans un cantonnement proche du sien.

Dans la lettre du 26 juillet 1940, il ne laisse pas passer l’anniversaire de Youki, née le 31 juillet et lui fait cadeau ce jour-là d’un message d’espoir:

[…] Quelle que soit l’allure des événements il ne faut jamais s’imaginer qu’ils sont définitifs et que l’avenir est entièrement soumis à leur influence. Jamais le présent n’a été si fugitif et il ne faut compter que sur soi-même. Ce qui est excellent à plus d’un point de vue et même profitable. Je te souhaite donc une longue vie dans ce monde passionnant et bouleversé. On n’a pas fini de rire, crois-moi, et on rira. Le tout est justement de vivre assez longtemps d’une part et de rire tout de suite d’autre part.
Ce qui n’empêche pas de poser les pieds sur la terre[88].

Il en donne ensuite la preuve de façon concrète, les détails de la vie quotidienne pour être petits ne sont pas anodins. Le souci de ne pas voir Youki dans le dénuement reste latente :

Par exemple tu ne me donnes aucune nouvelle de J.P. Tu me dis que tu as « encore » de l’argent mais tu ne dis pas combien. Tu me dis que l’on se ravitaille à Paris et tu ne dis pas combien il faut dépenser par jour… etc. Tous détails matériels qui m’intéressent beaucoup, crois-moi[89]. Il faut me dire tout cela, me faire confiance, m’attendre sans impatience (j’arriverai bientôt), rire aux jours passés, rire aux jours présents, rire aux jours à venir, bien se porter et garder suivant ma marotte sa lucidité et son équilibre.
Je t’embrasse tendrement trente-sept fois cent fois.
Robert[90]

Le 8 août cette prédiction de bonheur semble se réaliser :

Ma Chérie
Am’on my merry way hé hé hé
Je quitte Prats[91] demain ou après-demain en direction de X puis de Y, d’où je partirai vers Paris.
Baisers baisers baisers.
Robert

Quand les menaces se précisent, il (se) rassure : « je m’en tirerai, je m’en suis toujours tiré », « ne t’inquiète pas, on va s’en tirer ». L’amour en danger, la guerre sont de ces tornades, naufrages et combats désespérés qu’il affronte inlassablement depuis les années vingt. Non pas en bon samaritain mais en homme participant des tourments liés à toute humanité. Cette empathie extrême, cette capacité à entendre ce que les mots et les plaintes les plus banales disent de sincère et de déchirant sont sans doute ce qui l’a séparé des déclarations surréalistes du groupe après 1927 : « transformer le monde », « changer la vie »  dans et par la poésie ne se conçoivent pas pour lui  hors de l’action quotidienne individuelle, et surtout n’impliquent pas tant de changer l’autre –fût-il inconséquent, intoxiqué, fou–  que de suspendre ses propres certitudes et toute exigence de réciprocité. C’est dans cette perspective que Desnos peut aussi bien aider ses amies à trouver de l’opium, qu’inviter les co-détenus de Royallieu, de Buchenwald ou de Flöha à partager leurs rêves et leurs recettes de cuisine ou lire dans les lignes de la main de ses compagnons de camp qu’ils vivront longtemps.

Cet optimisme qu’on retrouve dans tous les témoignages des compagnons de camp[92]nait d’une conscience lucide de la situation –et non de son déni ; c’est en situation désespérée la seule forme de lutte possible, qui réside dans l’affirmation de la nécessité du bonheur[93], de la certitude de la libération et de jours meilleurs où la vie l’aura emporté –ce futur antérieur est essentiel à la survie. L’usage généreux de la prophétie, qui est l’enseigne de Desnos, rend cette correspondance d’amour et de guerre unique. Dans les temps de sommeil hypnotique et de proférations automatiques, Desnos annonçait la mort plus ou moins lointaine de tous ses amis et de lui-même ; après 1936, en réponse à la conscience aiguë de ce qui va survenir, s’élabore une petite cuisine du bonheur individuel qui a vertu de résistance et qu’il ne faudrait pas confondre avec le minimalisme de la « petite gorgée de bière » ou la valorisation des petits riens et de l’instant parfait. L’humour et l’optimisme pratiqués de façon volontariste comme exercice d’hygiène ou sport de combat, contre tout espoir pourrait-on dire, créent la disposition d’esprit qui permet aux plus petits faits heureux de transformer les destinées tragiques. Cette conviction profonde que révèlent les lettres d’amour et de désamour comme les lettres de guerre, est le secret que Desnos cherche à transmettre à ceux qu’il veut aider parce qu’ils combattent une force plus grande qu’eux. L’art de créer des raisons de vivre contre toute raison relève de la confiance dans la beauté et dans le pouvoir du langage à transformer le présent, dans la certitude que la poésie et la fidélité au seul désir détiennent la clé des situations.

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[1] Lettre à Youki du 9/10/39, Desnos en l’an 2000, textes réunis par Marie-Claire Dumas et Kate Conley, Gallimard, 2000, p. 408.

[2] Deux cartes d’Arcachon sont adressées à madame Youki Foujita 3 square Montsouris en 1928. DSN 445 et 446, BLJD. Sauf mention contraire, les illustrations proviennent de la vente de Saint-Valéry-en-Caux (catalogue et images reprises dans la Gazette des ventes) aet de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

[3] Black Alan, Yvonne George, éditions RPM, 2006 et Audrey Coudevylle-Vue, Fréhel et Yvonne George, muses contrastées de la chanson « réaliste » de l'entre-deux-guerres (thèse de doctorat en lettres modernes-cantologie), Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, 2016.

[4] Bien que Desnos ne sacrifie jamais à l’hypocrisie, il manifeste, dans ses correspondances avec d’autres écrivains ou avec Jacques Doucet, conscience de son statut –en toute modestie et auto-dérision parfois-  et de celui du destinataire, ainsi que de l’usage collectif qui peut être fait d’une lettre.

[5] Voir L’Exploration des limites, Klincksieck, 1980 et la publication documentée de certaines de ces lettres dans Robert Desnos, Cahiers de L’Herne, dirigé par Marie-Claire Dumas, Paris, 1987 ; Youki et Robert Desnos, Cahier Robert Desnos n° 4, 1999 ; Desnos en l’an 2000,; Desnos et la guerre. Dossier, témoignages, hommages inédits, L’Etoile de mer, Cahiers de l’Association des Amis de Robert Desnos, nouvelle série n° 6, présenté par Marie-Claire Dumas et Jacques Fraenkel, 2015.

[6] Anne Egger, Robert Desnos, Fayard, 2007.

[7] Je remercie en particulier Monsieur Jean-Pierre Dutel, libraire et collectionneur parisien, qui a bien voulu faire sortir de l’ombre lors de l’entretien qu’il m’a accordé le 6 mai 2022 quelques-unes des correspondantes que j’évoque.

[8] DSNC 464, BLJD.

[9] DSNC 452, BLJD.

[10] Comme le montrent Aveux non avenus dans ses transpositions mythologiques, et plus clairement ses Confidences au miroir  qui figure dans les Écrits, réunis par François Leperlier aux ditions jeanmichelplace en 2002, et contrairement à ce qu’on lit parfois, Claude éprouve une attraction pour des hommes et des femmes, sans exclusivité.

[11] Épouse de Bernard  Lecache depuis 1923, Denise Montrobert gardait de son milieu familial une forte orientation politique et militante. Lecache journaliste militant d’extrême gauche, écrit au Journal du peuple d’Henri Fabre, et dans Le Merle Blanc, créé par Eugène Merle ; il prend parti pour la Révolution russe, adhère au Parti communiste dès ses débuts et mène une carrière politique, présidant aussi la ligue contre l’antisémitisme. Il apprécie peu l’autre visage de Denise qui dans les années trente fréquente les réseaux d’intoxiqués. Il la quitte et se remarie en 1936.

[12] Pearl White a mené une trajectoire tristement parallèle à celle d’Yvonne George, mourant plus tard qu’elle en 1938 de cirrhose mais fréquentant les mêmes fêtes à Montparnasse et Neuilly, sans doute aussi les mêmes réseaux pour se procurer de la drogue. Desnos en fait l’emblème des actrices de son temps : « Pearl White fut le symbole des désirs sensuels de toute une génération que la guerre sevrait de joies légitimes et nécessaires, je parle de la génération de 1900.../ Pearl White multipliée à l'infini régnait sur le monde. Elle hantait toutes ces cervelles neuves, elle agitait ces sens en fusion. »

[13] DSN C 752, BLJD

[14] « Ode à Coco » est repris dans Corps et biens en 1930.

[15] DSN C 452, BLJD.

[16] La correspondance de Robert avec Théodore Fraenkel confirme qu’avec sa première femme Bianca Maklès, puis avec Guita, il a constitué dans les années vingt et le début des années trente la « vraie famille » de Desnos. Quand Youki lui échappe, Robert prend ses repas, donne rendez-vous chez eux à Youki, à ses amis.

[17] Voir Anne Egger, op. cit..

[18] Elle a appris la gymnastique et enseigné au cours de gymnastique de Georges Hébert avant de créer son propre cours. Voir Anne Egger, op. cit. p. 155, note 174.

[19] DSNC 2207, BLJD.

[20] Lettre du 6 février 1935.

[21] Un de ses amis, William, informe Youki, de son transfert à l’hôpital lorsqu’ elle ne peut pas encore communiquer, il décrit ses souffrances et ce que représentent les lettres de Youki pour elle.

[22] DSNC 2213, BLJD.

[23] Ainsi les lettres d’appel au secours du 29 août 1937 à Robert et du 18 octobre puis du 30 novembre 1937 à Youki : « Ma chérie ne demande pas à me voir, puisque c’est le règlement. On peut me déposer des fruits ou gâteaux au chocolat, des journaux, au pavillon, et un petit mot surtout. L’interne est toujours très gentille et bonne. /J’ai beaucoup de courage. Je vous embrasse tous les deux./ Thérèse Cano de Castro, salle Fabret, aux Chalets, Salpêtrière, 13e.

[24] Dans un billet où elle remerciait Théodore Fraenkel, elle donnait en décembre son adresse « pavillon Ferrus, hôpital Henri Rousselle, rue Cabanis, 14ème . »

[25] Lettres de Thérèse DSNC 2214-2215 et de Manuel, 2216, BLJD.

[26] Une fiancée mentionnée par Florence qui ajoute quelques mots à son intention « j’ai pensé beaucoup à vous et à Lilian. Je vous souhaite toute la joie, tout le bonheur » et « j’aimerais tant envoyer des fleurs à Lilian  -Anne Egger trouve mention d’elle sur une carte signée de Phil et de Robert à cette destinataire, et Théodore Fraenkel la cite. On sait par une lettre à Youki qu’il l’a revue en juillet 1931 (lettre du 23 juillet, DSN C 465) « Tu parles d’un revenant » commente-t-il.

[27] Comme la carte pneumatique datée du 25 II 1929, adressée au 45 rue Blomet : « Lundi. Veux-tu me téléphoner ce soir entre neuf et onze heures ou bien je viendrai chez toi demain à trois heures. Excuse-moi. Denise. Trudaine 27-21», ou cette proposition respectueuse : Lundi 14 octobre [1929]. Mon cher ami, Cela vous ferait-il toujours plaisir que je vous prête mon phono. Affectueusement, Denise Lecache. »

[28] Une lettre exceptionnellement datée (du 30 janvier 1930) postée à Pierrefonds est écrite sur un papier portant le S de Séverine à en-tête des Trois Marches, Pierrefonds, Oise. Séverine y était décédée en 1929.

[29] Allusion à Corps et Biens. Publié par Desnos en mai 1930, à peu de distance de sa rupture avec André Breton (mars 1929) et de la mort d'Yvonne George (avril 1930), au seuil de sa liaison avec Youki,ce recueil constitue pour Robert Desnos bien plus qu'une étape ou un adieu, le bilan poétique de ses années surréalistes.

[30] André Thirion, Révolutionnaires sans révolution, Robert Laffont, 1972, p. 225-226.

[31] Mars 1929, DSN 858, BLJD.

[32] Anne Egger, Op .cit, p. 400-401.

[33] DSN 858, BLJD.

[34] Florence trouve la mort le 3 novembre 1929, aux côtés de Léa Amsel, danseuse et actrice qui fut l’amante d’Aragon jusqu’à sa rencontre avec Elsa. Au volant de sa Bugatti elle avait entrepris de faire la course avec la Bugatti de Derain sur la route de Barbizon quand elle a perdu le contrôle du véhicule.

[35] Lettre du 7 novembre 1929, DSN 451, BLJD.

[36] On consultera en ligne pour avoir une idée plus précise de l’ampleur de ces correspondances l’article de Charlotte Maria, « Claude Cahun et le surréalisme », Texte et image [Online], vol. 1 | 2011, Online since 13 December 2017, connection on 25 January 2023. URL : http://preo.ubourgogne.fr/textetimage/index.php?id=140.

[37] Quelques-unes des lettres échangées par Claude Cahun et Robert Desnos sont à la BLJD, ainsi que les billets d’invitation plus factuels généralement de la main de Suzanne. Charlotte Maria en a cité certains dans sa thèse. Une trentaine de lettres et cartes et cinq ou six billets de Suzanne qui étaient entre les mains de Youki sont passés en vente à Saint-Valéry en Caux en 2017.

[38] Claude Cahun, Écrits, textes présentés et réunis par François Leperlier, Jeanmichelplace, 2002, p. 664-665. Elle précise à Ferdière que ses lettres ont disparu, « brûlées sans doute » au moment de leur arrestation à Jersey et de la mise à sac de sa maison, et que la dernière lettre qu’il lui ait écrite date de 1940.

[39] Claude Cahun, « Confidences au miroir », Écrits, op. cit. , p. 593.

[40] Cette relation amicale avec Robert Desnos en rupture violente avec Breton depuis 1929 se déploie alors que Claude Cahun se rapproche du surréalisme et de Breton. Aveux non avenus déconcerte Breton, comme la personne de Claude Cahun, dont il estime la pensée, les capacités de synthèse et les analyses politiques (Les Paris sont ouverts, Corti, 1934). En la matière, ni Desnos ni Breton n’osent exiger l’exclusivité.

[41]DSN C 858, BLJD.

[42] Le poème entier paraît en 1930 à Anvers, édition hors commerce. Il n’était pas prêt au moment de la publication de Corps et biens. Une dédicace à Théodore Fraenkel sur le manuscrit de 1927 permet de comprendre que la fin en était perdue : « Mon cher Fraenkel, vous serez le seul à avoir le manuscrit premier avec la plus grande partie des passages perdus que j’ai retrouvés par miracle aujourd’hui 29 octobre 1929 ». Claude Cahun semble l’avoir lu d’abord dans sa version inachevée, puis avoir reçu en réponse à sa demande le livre publié avec le poème complet.

[43] Cité par François Leperlier, Claude Cahun. L’exotisme intérieur, Fayard, p. 204.

[44] Le grand poème de Desnos « Siramour » est publié dans la revue Commerce , Cahier XXVIII, à l’été 1931.

[45] « La Rocquaise », débaptisée dès 1937, devient pour moi, dit Claude Cahun « La ferme sans nom », « Confidences au miroir », Écrits, op. cit. p. 588.

[46] Au verso «  with love —/(comme ils disent ici sans savoir, je crois, toute la valeur du mot —/mais qui peut la connaître ?)/ Je pense souvent à vous. Est-ce que cela se voit sur cette photo ?/ Claude Cahun

[47] Georges Bataille, dont il s’est rapproché au temps de sa rupture avec Breton, en 1928-1929, commence à théoriser l’érotisme à partir de la notion de sacrifice, de dépense rituelle en lien avec le sacré dès le début des années trente.

[48] Dans une lettre du 22 janvier 1934 Robert détaille à Youki  les travaux d’emménagement dans leur nouveau domicile. (DSNC 491, BLJD).

[49] DSN 819, BLJD.

[50] Michel Leiris, Glossaire : J’y serre mes gloses! , Texte établi, introduit et annoté par Louis Yvert, illustrations d’André Masson,  Poésie Gallimard, 2014.

[51] Maurice Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 361.

[52] DSNC 763, BLJD.

[53] Lettre du 12 juillet 1931, DSNC 462, BLJD.

[54] Chaque élément de ma vie quotidienne est, d’une certaine manière, transparent à ma conscience et clairement accessible à ma manipulation, selon diverses gradations d’affinité qui définissent une sphère de complicité atmosphérique avec mon entourage immédiat. Dans ces circonstances, le monde quotidien représente le dernier endroit où j’aurais l’idée d’aller quérir quelque chose de secret […] Et  pourtant l’énigme initiale ne laisse pas de réapparaître : ce qui se présente comme le plus proche et le plus familier est en réalité le plus lointain et le plus étrange. Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, Alia, 2005, p. 18-19.

[55] La Révolution surréaliste n°12, 15 décembre 1929.

[56] « Mes chers amis/ A votre arrivée dans ce beau pays je tiens à vous souhaiter la bienvenue./ En date d’octobre 1929.Affectueusement/ Robert Desnos.

[57] Télégramme de Youki le 1 er septembre 1930, DSN C 756 ; réponse de Desnos, le 3 septembre, DSN 452.

[58] Télégramme du 3 septembre, DSN C 758, BLJD.

[59] Voir Anne Egger, op. cit. p. 476-477.

[60] DSNC 458, 459, 461, BLJD. Il écrit de l’Hôtel de la Sirène à  Villefranche sur Saône à Madame Foujita Hôtel Provençal à Port-Cros une carte avec une image humoristique : « Ma chère Youki/ J’aurais voulu t’écrire sur du papier à en-tête mais cet hôtel où je bois mélancoliquement un ¼ Vichy n’en possède pas. J’ai échoué ici en cherchant la Saöne. Elle est introuvable. Ce doit être une fable. Quant à cette sirène ! Une sirène d’eau douce et quasi lyonnaise./ Quelle encre [encre marron-noir pâle] ! Quel pays ! Baisers Robert » (458)

[61] Youki évoque cet épisode dans la lettre du 28 novembre 1939, adressée à Robert, mobilisé : « Souviens-toi de Port Cros. Je ne te l’ai pas dit, mais c’est là que je t’ai aimé. Tu le mérites évidemment, mais l’atmosphère y était pour quelque chose. Je répète : le soleil, la mer, l’amour. Douceur de vivre. » DSN C 797, BLJD.

[62] Lettres de Foujita adressées à Youki,  Paris, New York (17 septembre 1930 - 23 janvier 1931) Bibliothèque Kandinski, fonds Youki et Robert Desnos, sous la cote YFOU 9 ; inventaire en ligne par Stéphanie Rivoire, le 04/09/2017.

[63] DSNC 690, BLJD.

[64] Lettre du 31 janvier 1931, DSN, 693, BLJD.

[65] DSNC 679, BLJD.

[66] Lettres DSN C 462-469, BLJD.

[67] DSN 466, BLJD.

[68] DSNC 1024/1025, BLJD.

[69] Lettre datée « Paris le vingt neuf octobre Dix neuf cent trente et un », DSN C 1023, BLJD.

[70] DSNC 681, BLJD.

[71] Ghita Luchaire vit avec Théodore Fraenkel, après la rupture avec sa première femme, Bianca Maklès.

[72] Lettre du 12 juillet 1931, DSNC 462, BLJD.

[73] DSN C 463, BLJD.

[74] DSN C 464, BLJD.

[75] DSN C 462, BLJD.

[76] Cette intervention est la sienne.

[77] Lettre du 14 juillet 1931, DSN C 464, BLJD.

[78] Poème de A La Mystérieuse, qui s’adressait à Yvonne George et fut repris dans Corps et biens en 1930.

[79] [79] Lettre du 30 juillet 1931, DSN 467, BLJD., DSNC 682, BLJD.

[80]  Lettre datée de « Paris, ce mardi [1931] DSNC 676, BLJD. L’Etoile de mer n° 4, 1999, p. 27.

[81] Anne Egger, op. cit. p. 529.

[82] Elle y séjourne en 1933. Le mercredi 8 août 1933, il lui signale un projet de Vu sur Cuba. DSNC 470, BLJD. Le  dimanche 4 septembre et le lundi 5 septembre, il détaille les gains, dépenses, travaux en cours et articles en projet (DSNC 477 et 478).

[83] Cette géométrie compliquée se retrouve dans les configurations amoureuses des surréalistes, avec des variantes, dans les trios que forment Eluard, Gala et Max Ernst ; Breton, Simone et Suzanne Muzard ou encore Breton, Max Morise et Simone ; André Pieyre de Mandiargues, Bona et Octavio Paz  puis Toledo, ou  Mandiargues, Leonor Fini et Stanislao Lepri. Desnos et Eluard, vivent comme un conflit de loyauté plus ou moins violent avec eux-mêmes cet amour trop partagé qu’exige leur idée de la liberté absolue en amour –celle de l’autre garantissant la leur. Accepter pour les femmes une liberté égale à celle que les hommes se sont arrogé, touche à un choix moral et à un engagement anti-bourgeois plus politique.

[84] Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, paris, Le Seuil, collection Tel Quel, 1977, p. 172-173.

[85] Lettre du 28 juillet 1931, DSN C 466, BLJD.

[86] Lettre du 1er septembre 1939, dans Robert Desnos, Cahier de l’Herne, op. cit., p. 297.

[87] Lettre citée dans l’anthologie des lettres à Youki écrites dans les années 1939-1940 qui clôt Desnos en l’an 2000, op. cit. p. 500-501.

[88] DSNC 516, BLJD.

[89] Le 20 juillet il lui racontait les principales étapes de son périple à travers la France « Je suis en bonne santé. Pas trop fatigué par 2 mois de régime amaigrissement et 250 km de footing à marche forcée.

Ma chérie tout ce qui m’inquiète c’est tes conditions de vie. Mets-moi au courant en détail. Je t’embrasse très tendrement et je brûle de revenir. » Dans la même lettre on devine ce qu’était la marche forcée : il est passé par Saintes, La Jarne, Surgères, La Rochelle, a laissé « le reste de ses affaires »  à Surgères en sûreté et se trouve en Dordogne en zone non occupée.

[90] Cette lettre figure dans le Desnos  des Cahiers de L’Herne et dans Desnos en l’an 2000, op. cit.

[91] Il est alors cantonné à Prats-du-Périgord. X et Y s’explique probablement par l’interdiction de donner des indications sur les déplacements à venir –la censure militaire veille.

[92] Voir dans Oeuvres, le récit d’André Verdet qui fut avec lui à Compiègne puis dans le convoi qui d’Auschwitz fut conduit ensuite à Buchenwald et le vit partir pour Flossenburg ; on lit ensuite les témoignages des compagnons de Flöha, Henri Pfihl, Pierre Volmer. Voir aussi le témoignage d’André Bessière dans un entretien avec Katharine Conley,  « De Compiègne à Terezin avec Desnos. Au camp de Flöha ». dans Desnos en l’an 2000, op. cit. p. 310

[93] Voir ici-même l’article de Silvia Ferrari.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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