Antoine Poisson

« Cinq années d’une amitié totale suivies de trois années de silence »

La correspondance André Breton – Robert Desnos

 

« Diseur de bons mots, mauvais caractère. »
Blaise Pascal, Pensées 

« Elle ne ment pas : elle invente. Elle invente tout
avec une facilité insignifiante, jusqu’à ses rêves. »
Jules Renard, Journal

 

 

La correspondance d’André Breton et de Robert Desnos à laquelle nous avons pu accéder, pour l’instant, est de taille réduite : quatre lettres de Robert Desnos, une trentaine de lettres d’André Breton. Elle n’a pas été publiée, hormis une lettre dans les Œuvres (éd. M.-C. Dumas), et de nombreux extraits dans la biographie d’A. Egger. Conservée presque intégralement à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet (une lettre se trouve sur le site André Breton), elle permet de réévaluer le jeu de Pygmalion teinté d’amitié de l’auteur et de l’éditeur des Sommeils, ainsi que les raisons de leur rupture ; Desnos la situe en 1927, mais on peut la dater de 1928.

Peu de lettres de Desnos : tout indique pourtant qu’elles existaient en grand nombre. Deux lettres sont évoquées dans la correspondance ; la première des lettres conservées n’avait pas été envoyée par Desnos, et l’autre se trouvait dans un exemplaire truffé. Au reste, une dernière lettre a été acquise par la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet en 2020 (vente Pierre Bergé). La rupture semble avoir été assez violente pour que Breton brûlât les lettres de Desnos : il y a peu de chances qu’il les vendît, comme il l’avait fait pour Valéry ; Desnos n’avait pas le prestige de l’académicien.

Les raisons de cette rupture ont déjà été grandement étudiées – comme dans l’ouvrage de Marguerite Bonnet [2], dans celui d’Anne Egger [3], ou encore par Marie-Claire Dumas dans son étude sur Corps et bien [4] et sur Desnos [5]. Elles sont nombreuses, et méritent d’être rappelées. Breton le premier en a donné une liste dans Le Second Manifeste du surréalisme, en invoquant la profession de journaliste de son ancien ami, son retour à l’alexandrin, son attitude individualiste et enfin son comportement (notamment une consommation excessive d’alcool et le « parrainage » d’un bar nommé Le Maldoror). Desnos a répondu dans Thomas l’imposteur et dans le Troisième Manifeste du surréalisme. Il y accuse Breton de duplicité, d’hypocrisie, de ne pas être digne de la grande amitié dont il lui a fait don : « J’eus [c’est Breton qui parle] un ami sincère : Robert Desnos. Je le trompai. Je lui mentis, je lui donnai faussement ma parole d’honneur [6]. » Symboliquement, Desnos conclut en retirant à Breton la charge du surréalisme, déclarant le mouvement « délivré et offert à tous », livré aux « hérésiarques et aux athées », maintenant qu’on en a tué l’inventeur (et) corrupteur.

Partant, ce n’est pas Desnos qui a démérité du surréalisme, comme l’avance Breton, mais Breton lui-même : il n’aurait pas été digne du grand espoir entrevu lors de la période des sommeils. Il faut étudier les modalités de cette amitié à l’aune de ce contrat non rempli : je partirai de ce premier espoir qui avait défini Desnos « prophète du surréalisme », Breton ayant, du point de vue de Desnos, retiré petit à petit au surréalisme et à sa « bouche d’ombre » son essence.

Outre la grande amitié et la raison de cette rupture, la correspondance Breton-Desnos montre le rôle d’éditeur de Breton, id est la commande de textes, leur présentation et leur correction. C’est peut-être à l’aune de la raréfaction de ces contributions, voire au refus de certaines idées de Desnos, que l’on peut examiner le revirement brutal de 1928 ; la célèbre « araignée de Youki »[7] n’est qu’un symptôme d’une crise plus longue ; les racines du mal remontent à 1925.

Je diviserai cette correspondance en quatre temps : une première période allant de 1922 à 1924 où, sous l’égide de Breton, Desnos devient le prophète du surréalisme ; ensuite, de 1924 à 1925, la collaboration entre Breton et Desnos s’intensifie, Desnos devenant un des éléments essentiels du groupe. Breton s’efforce cependant déjà de le contrôler. L’amitié « à distance » prend un tour aigre à partir de la fin de 1926, à mesure que l’apolitisme et le journalisme de Desnos l’isolent du groupe. En 1927, Breton juge même nécessaire de lui dire qu’il n’y a pas de « cabale » contre lui. Enfin, la rupture douloureuse, au retour de La Havane, s’échelonne depuis la « lettre de l’araignée » jusqu’au Troisième Manifeste du surréalisme : rupture décisive car à distance, et qui n’aura point de résolution.

En prélude, je citerai Youki. Au début de ses Confidences, un paragraphe fait étrangement songer à Desnos :

Il n’y a que les gens du métier qui vous apprécient à vos vrais débuts. Ce qui fait battre le cœur, pour un comédien ou une comédienne, c’est le premier rôle, ne fût-ce qu’une simple figuration dans une pièce à grand spectacle, pour un peintre, le premier tableau mentionné par un critique, pour un musicien le premier cachet, la première commande de chanson, souvent signée d’un autre nom, pour un écrivain, le premier texte imprimé, fût-ce dans une de ces revues aussi confidentielles que fugitives. Cette émotion-là, on ne la retrouve jamais plus [8].

Est-ce pour n’avoir jamais retrouvé cette « émotion », l’orgueil de voir son premier sommeil imprimé et l’éloge de Breton dans Entrée des médiums, que Desnos a voulu s’éloigner ? Je tenterai de répondre à cette question, en rappelant, comme Proust analysant les comportements de Saint-Loup, que les raisons, en matière d’amitié, sont toujours plurielles, mêlées, voire se contredisent.

I. « Le sergent-major du surréalisme »

a. Premiers feux : « Desnos […] un type épatant », « André Breton est mon ami »

Desnos est né en 1900, à Paris. Issu d’un ménage modeste, il ne poursuit pas ses études jusqu’au lycée. Vivant de menus métiers, il publie à dix-neuf ans un petit recueil à compte d’auteur : Prospectus. Lorsqu’il rencontre Breton il n’a pas l’âge, le prestige ou l’instruction des autres membres du groupe ; la période des sommeils vient à point pour briller.

Après une première rencontre ratée quand, introduit par Péret auprès du groupe au cours d’un dîner « lugubre », il ne peut que répéter : « évidemment », il intègre l’équipe de Littérature vers juillet 1922. Dans le quatrième n° de la nouvelle série (1er septembre 1922), il écrit un petit papier sur Les Mémoires d’un immortel de Max Ernst ; il donne trois récits de rêves, échelonnés sur six ans : 1916, 1918-1919 et août 1922. C’est dans ce dernier qu’il est visité prophétiquement par André Breton ; le rédacteur en chef lui annonce qu’il a « le plaisir de [lui] annoncer [sa] promotion au grade de sergent-major ». Besoin profond, manifeste, d’avoir l’attention de Breton, de faire ses armes, de « monter en grade ». Sur une idée de Crevel, le 25 septembre, on applique un protocole de sommeil hypnotique : lampes éteintes, silence et chaîne des mains autour de la table, l’un des jeunes gens prend le rôle de médium. Suivant Crevel, c’est Desnos qui improvise le lendemain avec brio – après avoir réclamé la parole en grattant « convulsivement la table » et se réveillant sponte sua. Sur un conseil de Crevel, on lui donne du papier et un crayon le lendemain : il se met alors à écrire et on l’interroge : il voit « la mort », et imagine tout de suite un voyage en Équateur pour Breton[9].

Déjà, sa contribution a un caractère catastrophique, prophétique : l’étrangeté macabre plaît à Breton – d’autant que Desnos montre de l’intérêt pour le directeur de Littérature, en le renommant « Le volubilis et je sais l’hypoténuse » puis en écrivant « lisiblement » qu’il l’aime[10].

Dans cette ambiance de cauchemar [11], Desnos parle, improvise, apostrophe, s’emporte, compose des poèmes ; il produit des « Rrose Sélavy » à partir du 7 octobre : une « coulée verbale » de jeux de sonorités, non seulement drôles, mais lourds d’un ordre caché. Breton et ses amis découvrent « une manifestation essentielle de l’esprit actuel, dont personne n’a saisi le mécanisme et qui sont absolument inimitables [12] ». Breton, émerveillé de « ce pouvoir qu’a montré Desnos de se transporter à volonté, instantanément, des médiocrités de la vie courante, en pleine zone d’effusion poétique », conclut « Caractères de l’esprit moderne et de ce qui en participe » en « ne formant qu’un vœu », « c’est que l’énorme affection [qu’il] lui porte ne lui soit pas trop lourde afin qu’il puisse continuer à opérer le miracle les yeux fermés ». Des yeux que Breton souhaite faire photographier par Man Ray pour saisir sur la pellicule ce que ce que « Desnos continue à voir », et que Breton « ne [voit] pas, [qu’il] ne [voit] qu’à mesure qu’il [le lui] montre » [13].

Grand emportement. Voici Desnos nommé « prophète du surréalisme » dans Entrée des médiums, le texte-préface aux « Sommeils » dans Littérature. Dans Les Mots sans ride, en décembre, il est « tout ce qu’il y a de plus remarquable en poésie », au point que Breton en fait part à Éluard (14 octobre 1922) : s’il ne trouve pas le poème « si extraordinaire », les « jeux de mots » et « toute la séance » emportent son adhésion[14].

En octobre, indifférent aux poèmes, Breton crédite son ami d’actions proches de la folie : les hallucinations, les sommeils, les comportements psychotiques. Le 16 octobre, Breton écrit à Picabia. Après avoir recopié nombre « Rrose Sélavy », il lui raconte que Desnos obéit à une « étrange volonté » (sous la forme d’un homme mystérieux, venu de New York, et qu’il nomme « Cancer ») – étrange volonté qui le pousse à « se jeter au pieds de Madame Everling. »

Les interventions de Desnos sont toujours circonstanciées ; lors des sommeils, ses délires dépeignent des membres proches, les mettent en scène, en font des portraits, tel un « hasard objectif » avant l’heure. Certes, c’est là le comportement usuel d’un médium. Mais comment ne pas y voir autre chose : manipulation ? réel désir de briller ? Ou état second engendré par les sommeils, menant aux limites de la conscience, ce que révèrent avec effroi ses nouveaux, ses prestigieux amis ? Il faut comprendre à cette aune l’espoir du jeune poète. Il est édité dans chaque numéro de Littérature jusqu’à la fin de l’année ; Breton le baptise « l’esprit poétique du temps » (réalisation in concreto du rêve de poésie « dans la vie ») Les textes qu’il donne à cette période sont représentatifs de cette passion du jeu de mots ; « L’amour des homonymes [15] », « L’Aumonyme [16] » : le poète éveillé prolonge la folie linguistique du dormeur.

Dans une lettre du début de novembre, retrouvée en 2020 à l’occasion de la vente Pierre Bergé, Desnos lui transmet de nouveaux dessins pour Littérature, ainsi que divers aphorismes. Le jeune homme semble assez fier de ses performances (phrases très longues) et de ses dessins. On note la jeune faconde avec laquelle il évoque son duel, plein d’un enthousiasme débordant.

Paris mercredi

Cher ami,
J’ai oublié de vous envoyer les dessins du 4 novembre. Je crois cependant vous avoir donné le jeu de mot dicté ce soir-là (café proche du vél. d’hiv.) « Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir » au cours d’un très long discours sur la main (double grandeur nature) de madame Everling. Cette phrase était inscrite à l’intérieur d’une bague carrée qu’elle portait à un doigt. Ce discours comportait paraît-il des phrases de cinq minutes. Enfin hier soir au sortir du concert Mayol (revue à grand spect.) Séance dans un petit bar « sans parole » donc [sans] résultat.
Le cliché du dessin pour Littérature rend fort bien.
Je vous envoie incessamment copie jeux de mots que vous demandez
Au revoir – très affectueusement et plus que jamais
Robert Desnos

[verso] Le duel Péret-Benevol est en suspens et j’ai enfin engueulé publiquement le personnage le plus bête de Paris – Jean-Michel Renantour qui se permettait de fâcheux épilogues sur mon compte.

 

Novembre : Breton part pour Barcelone prononcer une conférence sur l’esprit moderne, en compagnie de Picabia et de Simone. Il laisse les sommeils à la charge d’Éluard. En son absence, ceux-ci perdent en intensité. Selon Éluard, Desnos se livre à une sorte de pantomime désespéré (s’arrache les cheveux, « assure qu’il est plein de bonnes intentions, veut [les] distraire et [les] faire rire, fait des grimaces, demande son pardessus, son chapeau pour s’en aller, déclare qu’il ne s’éveillera plus, que ce n’est pas utile »), tout cela avec un ton « un peu ivre »[17].

« Bonnes petites séances » ; Desnos prestidigitateur, conscient de son propre rêve, s’agace de ne pas parvenir à séduire son audience en dépit de ses « bonnes intentions », de ses grimaces, de son ton « un peu ivre » : on est loin des terreurs, tremblements, épouvantes « dignes de Maldoror ». Est-ce à cause de l’auteur de Capitale de la douleur ? L’affaire semble avoir tourné au procédé. Est-ce pour son scepticisme que Desnos, sous hypnose, voudra plus tard poignarder Éluard ? À son retour, le 20 novembre, Breton n’est pas très enthousiaste à l’idée de renouer ; il le contacte seulement le 27 novembre :

Nevers 3091 13 27 12 h 16
Arrivons ce soir prévenez Aragon amitiés Breton[18]

Or il n’assiste qu’à une séance de Rrose Sélavy le mois suivant (le 2 décembre). Les rêves cessent courant décembre. L’essentiel a été dit. Il n’est pas besoin d’élucider le mystère de cette communication ; les « témoignages » donnés dans Littérature suffiront, car ils ont permis d’observer un langage s’élaborant dans un état de semi-conscience. La porte d’ivoire a été entrouverte, c’est bien assez ; et puis concédons que la tâche devenait dangereuse, entre menaces de suicide et poursuite au couteau, et une recherche d’émotions fortes virant à l’hystérie.

Peut-être Breton est-il pressé par d’autres devoirs. Littérature demande une nouvelle livraison ; lui-même rêve d’un nouveau Salon, avec Picasso, Cendrars, Brancusi. De son propre aveu, en décembre, il n’a pas assez revu Desnos, et s’en excuse :

Mon cher ami,
Vous savez que je m’ennuie beaucoup de vous, je vous ai si mal vu depuis mon retour. Que vous proposerais-je ? Ce soir, l’ennui me conduira même au Caméléon où je pense joindre Marinetti pour lui parler du salon. Vous voyez…
Je passerai donc seul à la Rotonde vers 8 h 45, puissiez-vous vous y trouver.
Il faudrait que je vous voie longuement et seul, je ne sais trop ce que j’ai envie de vous dire [19].

Très pris par ce projet de Salon, auquel il compte ajouter Marinetti, il veut lui parler « seul à seul », lui qu’il a « si mal vu ». Leur amitié se colore déjà de paternalisme : l’aîné, Breton, a pris en charge le jeune homme. Chaperonnage ambigu : Desnos n’appartient pas au groupe, il appartient à Breton. De fait le « prophète » est représenté dans Au rendez-vous des amis, en 1922, parmi les autres surréalistes mais à distance, timide.

 

b. « Je crains aussi que vous n’ayez trop attendu de moi. » (Desnos, 15 février)

Grande détresse chez Desnos en ce début de 1923. Comme le note Mark Polizzotti, « les sommeils sont sa drogue psychologique, une manière de s’assurer un statut, et son attachement aux séances hypnotiques apparaît comme une forme sévère de dépense névrotique [20] ». La dangerosité de son comportement pourrait être une réponse à la peur de perdre cette « drogue ». En 1952, l’enchantement passé, le récit de Breton devient critique. Le « prophétisme » de Desnos, son insistance à « sommeiller » découle d’une complexion narcissique : voulant « concentre l’attention sur lui seul », il se refuse à « interrompre l’expérimentation », et se présente plusieurs fois chez Breton, allant jusqu’à s’endormir au cours du repas. Un soir, comme Desnos semble impossible à réveiller, il a recours à un médecin. Inquiet pour la santé mentale de son ami, Breton met fin définitivement à l’expérience[21].

Équilibre mental compromis, obsession, impossibilité de se réveiller, insulte : Desnos ne veut pas perdre son nouvel éclat, son « rôle » qui met fin à son déficit d’être, ou de sentiment de légitimité. Le 14 février, le voici mandaté pour récupérer des poèmes inédits de Rimbaud, comme l’indique une lettre datée du lendemain :

Paris, jeudi,

Cher Ami,
Je suis allé chez Messein. Il a effectivement les 3 sonnets de Rimbaud mais comme il les vend 50 frs je n’ai pu les acheter. Si vous allez chez lui pour les avoir il suffit d’attendre qu’il n’y ait personne dans la boutique autre que le commis. Vous pouvez dire sans me nommer qu’un ami est venu se renseigner aujourd’hui. Il semble avoir une collection assez grande d’ouvrages de ce genre que je n’ai pu examiner. En tous les cas il en a une liste […]. Un détail : ne lui dites pas que c’est lui l’éditeur. Il est entendu que ce sont des livres en occasion.
Je regrette vraiment de ne pouvoir vous les envoyer.
D’autre part je ne les aurai par l’imprimeur que d’ici un mois. Quel ennui.
Je sais d’autre source qu’on a fait ces temps-ci une édition secrète des mémoires du Marquis de Sade. Il paraîtrait que cela peut se trouver rue Laferrière, Dans les boutiques spéciales qui y sont.
Je voudrais bien un jour vous voir un peu. Il me reste que je me fais quelque inquiétude depuis l’avortement de Dada II. Que toute cette politique pue. Je ne tiens à rien tant qu’à votre amitié et tout malentendu m’est pénible. Au reste, excusez-moi je dors six heures par jour depuis un an. Je crains aussi que vous n’ayez trop attendu de moi.
Plus j’y repense plus l’article d’Aragon me plaît. Il élargit les questions qui nous séparent du Reste.
Au lieu de refaire Dada, n’y aurait-il pas place pour une explosion romantique (de 1923, s’entend) ?
Je vous reverrai samedi soir comme convenu mais de grâce s’il y a malaise oublions-le.
Dites à Simone que les lettres ont été confiées aux Postes Républicaines [22].

Cette lettre importante laisse voir plusieurs dynamiques décisives. Albert Messein est à l’époque un célèbre éditeur de poésie ; fors Verlaine, il a publié La Phalange, la revue de Royère ; il possède en outre un important fonds symboliste. Prisant fort les inédits et les raretés, Breton a donné dans Littérature le poème en hommage à la Commune Les Mains de Jeanne Marie, des poèmes inédits d’Apollinaire et de Mallarmé, ainsi que les Poésies de Lautréamont. Les poèmes que doit retrouver Desnos sont sans doute des Stupra de Rimbaud, publiés en 1871 sans éditeur. Bon connaisseur des goûts de son mentor, Desnos évoque aussi Sade, qu’il a commencé à lire en intégrant le groupe. C’est en commis fidèle qu’il écrit, bien concerné par l’article d’Aragon, inquiet devant l’avortement de Dada II (sans doute le « mouvement flou » du groupe) : plus que tout, il cherche la conciliation : « s’il y a malaise, oublions-le. » Pis. Il se sent tenu de s’excuser pour le caractère décousu de sa lettre :

Je ne tiens à rien tant qu’à votre amitié et tout malentendu m’est pénible. Au reste, excusez-moi je dors six heures par jour depuis un an. Je crains aussi que vous n’ayez trop attendu de moi.

Comment expliquer le registre défaitiste de cette lettre ? Trois hypothèses : Desnos s’excuse de n’avoir pu acheter les poèmes, trop chers pour sa maigre bourse (50 francs) ; il déplore la lassitude de Breton face aux sommeils ; peut-être enfin a-t-il joué un rôle dans l’échec du Salon de la fin de 1922. Il ne nous est rien parvenu qui accréditât une telle bévue, mais la dernière explication semble la meilleure : Desnos suggère de faire un Salon « romantique 1923 », en compensation. La phrase cependant dépasse largement ce cadre, et évoque plutôt la crainte d’avoir déjà démérité : comment retrouver sa gloire perdue ? Breton le rassure le lendemain même : il possède déjà les Stupra, (il a du moins déjà un inédit à présenter) et se propose d’initier son protégé à la peinture, domaine qu’il connaît mal :

Mon cher ami,
Merci mille fois. Soyez certain que je vous aime toujours et que tout ce qui est vous m’est toujours extrêmement agréable.
Denise est à Paris et serait heureuse de vous voir. On vous montrera de petits Klee et les « Stupra » de Rimbaud [23] que je suis assez heureux pour posséder à l’heure actuelle. Ça marche merveilleusement pour Littérature.
Nous vous attendons ce soir à partir de 8 h. 1/2 [24].

En dépit de ces brumes passagères, l’affection et les liens entre les deux hommes demeurent ; ils sont assez forts pour que Desnos prenne contact avec Carrive : et le jeune poète de jouer Breton, en donnant à son jeune protégé ce petit conseil d’automatisme (lequel avouons-le, rappelle surtout la « méthode Desnos », preuve qu’il en a fait sa « chose ») : écrire « sans souci du sens de la syntaxe et de l’orthographe, ou alors sous la dictée absolument objective de cette voix dont [il lui a] parlé », avec ou sans ponctuation[25]. Déjà, deux versions du surréalisme coexistent.

c. « Je ne trouve pas toujours dans cet état le courage de m’exposer à ceux que j’aime. » Déroute du mouvement flou

Fortifié par les sommeils et ce patronage, Desnos devient l’homme fort du surréalisme : il se bat et défend les « [bons] [copains] ». Prenons l’affaire Wieland Mayr : le 3 mars, au Gaulois, celui-ci avait tenu des propos désobligeants sur Robespierre, l’idole de Desnos. On retrouve dans les archives de Desnos le procès-verbal signé par André Breton et Paul Éluard : une entrevue est décidée le 8 mars 1923, au cours de laquelle Desnos lui donne une gifle.

Ce pugilat a lieu lors d’une mauvaise passe de Breton : face à la dispersion des troupes, l’épuisement des sommeils, l’échec du salon, le journalisme d’Aragon, il lui écrit une lettre chagrine, le 7 mars :

Mon bien cher ami,
Pardonnez-moi cette inconvenance d’hier mais je désespère, depuis longtemps déjà de tout, et je ne trouve pas toujours dans cet état le courage de m’exposer à ceux que j’aime. Voudrez-vous encore venir ce soir si, pour votre grand malheur, vous n’avez rien de mieux à faire.
Comment sortir de tout cela mon Dieu. Mais je ne serais pas fâché de vous voir encore une fois seul. Autant que possible, nous sortirons[26].

Cyclothymique, Breton a évité Desnos au cours d’un épisode dépressif ; le même jour il écrit à Simone pour se plaindre de la situation : il évoque un déclin littéraire irrémédiable, accuse l’imbécillité de la revue de Soupault, enfin promet de ne plus écrire [27]. L’aventure de Desnos semble avoir été une des seules actions « d’envergure » du mois. Encore que : « Quelles folies, tout de même, comme cela mérite peu la peine qu’on se donne… »

 

d. « Cette place de curiosité »

Desnos a-t-il senti la rancœur de Breton ? la déroute du groupe l’inquiète-t-elle ? Il semble plutôt que le lien profond entre les deux hommes soit presque rompu – du moins la « place d’élection » est assiégée. C’est dans ce contexte que prend place la lettre du 4 avril 1923 déjà reproduite et commentée par Marie-Claire Dumas [28].

C’est bien une lettre d’excuse, qui vise à retenir Breton malgré son désintérêt. Desnos utilise une argumentation serrée : tout d’abord, le caractère d’élection des deux amis, comme s’ils étaient prédestinés : « Soyez certain que pour nul au monde je n’ai eu tant d’amitié. » Pis. L’idée même de sauvetage est attachée à Breton : « Chez vous j’ai trouvé le germe d’une inquiétude qui me ronge sûrement et que la cessation d’écrire a rendu seulement plus évidente. Je n’aurai sans doute pas cet héroïsme, le seul acceptable, de l’homicide ou du suicide. Votre compagnie un instant a pu me rassurer », obstacle au suicide d’autant plus prégnant que l’auteur des Pas perdus a été le « germe », celui qui a inoculé le surréalisme à Desnos ; enfin, voici rejouée l’amitié de Montaigne et La Boétie : « Je ne connais personne au monde à qui adresser mon Amitié ! », sous-entendu : personne d’autre. Pour finir, Desnos opère un étrange rapprochement amoureux : « Je me contenterai de faire l’amour avec désespoir et si par hasard nous nous rencontrons soyez certain que j’attendrai que vous me reconnaissiez. » Que conclure de cette alliance de sentiments amoureux, littéraires, amicaux ? Desnos semble avoir reporté sur Breton et les sommeils tous ses espoirs littéraires et éthiques : la défection le laisse dans un cas d’anomie classique : de tout côté nul espoir, impossible d’écrire et de se résoudre au silence. Mime-t-il les épisodes dépressifs de Breton ? Cette lettre, on le rappelle, suit une déclaration de son ami dans le Journal du peuple (avril 1924), où il annonce ne plus jamais écrire…

Allons plus loin. Sans mentor, Desnos sombre, ayant perdu « cette place de curiosité » qui gouvernait sa vie depuis près de huit mois. Marguerite Bonnet a lié cette dernière expression à son (supposé) narcissisme, lequel eût toujours voulu attirer l’attention ; ici, par le chantage au suicide (« J’ai bien peur de mourir sans cela »). Peut-être est-il plus juste d’évoquer une Galatée abandonnée : de l’aveu de Desnos, c’est Breton-Pygmalion qui a fait germer cette inquiétude ; c’est lui qui autorisa son flot poétique et lui révéla une nouvelle vision de la poésie. L’en retranchant, il lui ôte donc la raison de vivre ; Desnos refuse d’être un « déchu ».

Cette lettre (que Desnos a préféré conserver) donne la clef de la relation Breton-Desnos : le psychodrame de tout créateur et de sa créature lorsque le premier se détourne du second ; l’ancien « beau souci » ne se « contente plus que de promesses » ; il ne saurait renoncer à ce qu’il fut. La crise mentionnée le 15 février trouve tout son sens : elle ne sera jamais dépassée ; la correspondance s’épanouira dans le souvenir d’une idylle des mots perdue ; la relation, exclusive à distance, survivra et mourra par le souvenir. Cette lettre fait penser à celle de Nadja, le 30 novembre 1926, écrite après que Breton a donné des signes d’agacement (« Je m’ennuie [29] »), où elle lui demande  de « l’utiliser » et elle « fera de [son mieux] » pour produire quelque chose de « bien ». Son « souffle », même, commence avec celui de Breton…

Même ton de supplication ; même désir de renouer avec l’être perdu, quitte à être « utilisé » par lui ; même nostalgie du lien mystique qui unissait deux êtres. Plus remarquable encore est la récurrence d’un désir d’être utilisé pour que l’attention de Breton se porte à nouveau sur lui  et illumine les « mots » du surréalisme à l’état sauvage : « Je vous assure que rien de pareil n’arrivera plus, si vous me donnez la satisfaction d’être mon ami. Nous causerons sérieusement voulez-vous. Vous m’utiliserez et je ferai de mon mieux pour vous aider à quelque chose de bien… » Quelque chose a été révélé par Breton (Gracq parlait à son sujet d’un « effet radium ») ; en retranchant la possibilité de l’exprimer, il ôte une part importante de l’être, presque sa définition. Symptomatiquement, comme s’il souhaitait rejouer ses anciens états hypnotiques, Desnos agit de manière provocatrice durant toute l’année 1923. Le 23 juillet, Simone Kahn raconte à sa cousine « les disputes contre Baron, surexcitées d’ailleurs par Desnos qui se trouve aussi à son fait dans la haine qu’Aragon dans l’amour, se réveillent à toute occasion, et André lui en a voulu deux jours pour avoir été d’un avis opposé au leur ».

 

II.  « Un certain état de fureur » : Desnos, figure de proue du surréalisme

a. « Il est entendu que nous continuons » L’ami du quotidien

Il faut cependant préciser que la lettre n’a pas été envoyée à Breton, mais à Desnos lui-même – preuve que la rupture déplorée par Desnos n’a pas eu lieu ; du point de vue de Breton, l’amitié tient toujours. Non content de le recommander auprès de Jacques Doucet, et de servir d’intermédiaire pour la vente d’un manuscrit (il vante aussi son livre Désordre formel comme « absolument capital [30] ») il déclare à Éluard, en août, que Desnos est un « type épatant [31] ». Dans deux lettres, il réclame sa présence :

Mon cher ami,
N’oubliez pas de vous rendre à l’Eldorado ce soir 8 h 15. Le temps m’a manqué pour mettre debout la scène tropicale. De toute manière, il est entendu que nous continuons demain.
Rien de nouveau, sinon une engueulade extrêmement brillante, Aragon et moi, avec M. Crotti. Lettre de Jacques Baron.
À tout à l’heure, mon très cher ami [32].

Puis, un mois et demi plus tard :

Cher ami, nous irons demain ap. midi à Cambronne où nous resterons seulement jusqu’au dîner. À tout hasard et quoique cela ne vous convienne sans doute pas, rendez-vous 1 h45 au terminus demain. Si vous ne pouvez venir, à lundi soir, voulez-vous ?
Affectueusement [33].

Desnos fait donc bien partie du groupe : une lettre à Simone, du 18 mars 1924, montre que Desnos a bu avec Aragon et Breton la veille au soir. On est loin de la rupture redoutée.

 

b. « Voici Robert Desnos et Roger Vitrac, qui déchiffrent dans le parc un vieil édit sur le duel »

Les années passant, Desnos fait figure de surréaliste exalté : il est si combatif que le Manifeste du surréalisme le présente en train de « déchiffrer dans le parc » du château transparent « un vieil édit sur le duel ». La nouvelle identité que se construit Desnos auprès de Breton est marquée, pour reprendre l’expression d’Artaud, par un « certain état de fureur ». Breton, dans un article du Journal littéraire (5 juillet 1924) évoque son « héroïsme littéraire ou plutôt poétique », proche du fanatisme. Associé à Picasso, Freud et Robespierre, voici Desnos explorateur, « prophète du surréalisme », signe d’un « merveilleux moderne », qui a enterré symbolisme, cubisme, et aux pieds duquel tous doivent s’incliner. Outre l’éloge peut-être forcé (pour Marguerite Bonnet, il fallait rassurer Desnos), on notera que « Desnos est mille fois plus révolutionnaire que la révolution » – comme si Desnos était à nouveau celui qui faisait parler Robespierre et frappait Mayr.

Jusqu’à 1926, la correspondance abonde en ce sens : intrépide, débrouillard, Desnos est l’ami du bon temps comme du mauvais. Breton lui écrit ce télégramme de Lorient, le 22 juillet 1924 :

Faites impossible nouvelles secours
Limbour écrit Mayence café de Paris 18 juillet
grièvement blessé injures
réponse = Breton [34]

Georges Limbour est en 1924 reporter à Mayence, dans la Rhénanie occupée, pour L’Écho du Rhin. Le 14 juillet, sur les marches de l’Opéra, il a appelé la population allemande à chasser l’armée française d’occupation et crié « À bas la France ! » Le 18 juillet, il se prend de querelle au Café de Paris, sans doute avec des officiers, et il est blessé à cette occasion. L’intervention de Breton, Paulhan et Soupault lui permet de regagner la France [35]. Lorsque Breton envoie la lettre, il est à Lorient, chez ses parents pour les vacances. Desnos lui répond deux jours plus tard, le 24 juillet :

Téléphone café Mayence rien
attends communication Écho Rhin
prévenu Strasbourg et Bernier
prévenez Naville cas échéant Painlevé
Aragon s'occupera Bergery
Amitiés
toujours Paris-Soir quatre à cinq Desnos

Voici Desnos mandaté pour sauver Limbour : sur le champ, il contacte L’Écho du Rhin, et prévient Bernier, le directeur de la galerie L’Œil. Naville (avant d’alerter le mathématicien Paul Painlevé), Aragon avec Bergery (ami commun d’Aragon, Berl et Drieu la Rochelle) sont aussi prévenus. Desnos ne peut pour l’instant se rendre sur place, étant à Paris-Soir, le journal où depuis début 1924 il est journaliste, critique, et parfois caissier (!). Donner le coup de poing, être là dans les troubles : Desnos se distingue la même année par un fort brutal « attentat ». Lors d’une soirée au Vieux-Colombier les surréalistes attaquent Robert Aron, venu donner une conférence sur la poésie moderne. À peine celui-ci prononce-t-il son introduction, que Desnos affirme : « Je vous défends de parler de Rimbaud. » Une lettre à Picabia, le 8 septembre 1924, rend bien compte de la pulsio provocandi du jeune Apache : tout en demandant une contribution, il annonce qu’à partir du deuxième numéro, les surréalistes « boufferont les foies des emmerdeurs », et qu’ils vont bien « rire » [36]

c. « Quel dommage que je ne l’aime plus autant. Il n’y a de grandeur réelle peut-être qu’en lui. » La naissance de la centrale

Prophète, duelliste, ami de Breton au quotidien [37], Desnos suit de près la naissance de La Révolution surréaliste. Le journaliste ne tient pas la permanence : mais il envoie des numéros à Marcel Sauvage pour vanter l’histoire du surréalisme et faire une conférence à ce sujet [38] ; de l’aveu de Naville, il regorge d’idées, volontiers radicales ; témoin cette fantaisie typographique, en désirant enfreindre les règles traditionnelles de l’édition : « pages de format inégal, insertion de reproductions d’affiches publicitaires appréciées dans le cours des textes [39] » …

En outre, il se livre à l’exercice de dessins automatiques, dans la tradition des dessins de sommeils hypnotiques. L’un d’entre eux est reproduit dans le premier numéro.

Il donne aussi une peinture (réalisée avec Naville), que Breton conserve dans son atelier [40]. Pour Desnos, l’automatisme, c’est le surréalisme. Contre la poésie écrite et la peinture « à sujet », il est la forme d’un élan vital, d’une « voix intérieure » qui ne demande qu’à s’exprimer pour découvrir de nouveaux horizons. Comme le rapporte Naville, Desnos suggère d’entreprendre des tableaux à plusieurs mains, automatiques, afin de briser la notion de chef-d’œuvre. Le deuxième numéro de La Révolution surréaliste propose un tableau réalisé à quatre mains, mais cette tentative ne recueille « ni approbations ni imitateurs »[41].

Bon apôtre, Desnos définit le surréalisme par deux moyens : automatisme et anti-art ; le tableau évoque aussi les suicides qui parsèment le numéro. Hélas, nul n’est prophète en son parti : Artaud puis Breton reprennent la main. Mais si Breton redéfinit assez clairement les liens entre arts graphiques dans Le Surréalisme et la peinture au détriment du dessin automatique, il ne lui tient pas rigueur de le pratiquer ; l’auteur de Corps et biens est présent dans quasi tous les numéros. Breton sert d’intermédiaire : en décembre 1924, il lui demande un poème pour La Revue européenne de Soupault, créée au Sagittaire en mars 1923, quoique Breton fût agacé de l’activité dispersée de Soupault [42]. Le Sagittaire avait déjà édité Deuil pour Deuil en ce mois de décembre ; il éditera en 1927 La Liberté ou l’amour, sans l’entremise de Breton cette fois-ci.

Cher ami,
Soupault me prie de vous demander des poëmes pour la Revue européenne et éventuellement pour Kra.
Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, voulez-vous m’apporter demain la copie la plus complète que vous ayiez. [sic]
Très affectueusement…[43]

Tandis que Desnos prend de l’ascendant (il est au premier plan de la photographie de couverture) et qu’il collabore au second numéro avec le pamphlet révolutionnaire « La muraille de chêne » (sur une idée d’Aragon), la jalousie de Breton grandit. Comme il redoute de perdre un allié, un élément essentiel du développement de sa pensée et de l’évolution du groupe, sa rancœur s’exprime dans des lettres à Simone et Artaud. Le 21 janvier 1925, Breton déplore que Desnos ait bu et qu’il ne soit pas « drôle [44] » ; surtout, l’influence d’Artaud semble l’agacer. Artaud avait dressé une liste de lettres-insultes à composer par les membres : Desnos rédige avec Théodore Fraenkel une lettre aux directeurs des asiles de fou. Il écrivit aussi un Pamphlet contre Jérusalem : double scepticisme de Breton. Le 14 février, une lettre à Simone laisse libre cours à la rancœur, la jalousie, la déception envers celui pour qui il éprouve « une grande faiblesse » : « Je crois que les autres me mangent Desnos, et que je suis mangé pour lui par les autres, ce qui est absurde et honteux. Quel dommage que je ne l’aime plus autant[45]. »

Desnos avait ouvert la porte d’ivoire : mangé par d’autres, Virgile succombe à l’histrion ; nulle « grandeur réelle » à son répertoire, mais des « tics ». Frankenstein voulait-il que le surréalisme tournât autour de sa créature ? Cette « élection » a tourné court. Dans la lettre de Breton, la dramatisation abonde : « je ne l’aime plus autant », « grandeur réelle », « tics très graves », « caractère profondément grave ». En vérité, il n’y a que Desnos qui semble trouver grâce à ses yeux ; lui seul a vu le surréalisme, car lui seul a procédé, avec Breton et Soupault, qui pratiquèrent l’écriture automatique, à une expérience décisive. Estimant qu’il est le seul à le pouvoir diriger, Breton voit dans la perte de Desnos la métaphore de la déroute du mouvement. De plus en plus agacé par ce nouveau management et ce qui l’accompagne (désespoir, exacerbation, orientation nihiliste et mystique), Breton reprend en main la revue après une dernière apostrophe à Artaud, le 27 mars ; cette fois encore, Desnos semble un des différents essentiels par sa place dans le surréalisme, dont il est la « part lyrique ». Le voir se taire et perdre son aura signe l’échec du projet de l’auteur du Pèse-nerfs :

Voyez où nous en sommes avec le surréalisme : Desnos, qui a dû sentir une bonne fois, très fort, (il me l’a répété souvent) l’inutilité [parfaite] d’élever dans ce détestable concert une voix vraiment pure, et tout de même les jeux de mots... Desnos, qui est par excellence un personnage lyrique, se tient désormais à l’écart. Sans doute sa déception a été trop forte.

Protecteur de Desnos, Breton aimerait le conforter dans son projet poétique révolutionnaire, mystique, et surtout « lucide ». Le conserver pour soi, comme s’il était sa créature, ou du moins l’être dont il a le plus besoin, quitte à exalter sa fureur. Dans le numéro quatre de La Révolution surréaliste, Desnos donne La Baie de la faim – un extrait de La liberté ou l’amour ! où l’on voit apparaître Le Corsaire Sanglot – production littéraire, érotique et pleine de cocasserie, plus anarchiste, en plein dans le goût surréaliste.

 

d. « Il n’y a rien que je désire davantage » : Au service du surréalisme

En 1925, Desnos commence à écrire des prophéties, que Breton garde scrupuleusement [46]. Les sommeils n’ont pas de fin ; Desnos est toujours ce médium effrayant, macabre : au retour d’une consultation chez une voyante où Baron et lui croisent Breton, celui-ci écrit que Desnos est menacé d’un « grand danger », et qu’il risque même la mort[47].

Desnos participe en outre au n° 5 de La Révolution surréaliste. Le 28 août, Breton lui écrit :

Mon très cher ami,
Malkine m’a remis votre lettre mais vous savez que je ne puis rien pour Leiris, encore que je n’attache pas la même importance que vous à ce genre de choses. J’ai quitté Nice il y a quatre jours la mer n’en finissait pas de me faire vomir. J’ai pensé à rentrer à Paris et l’espoir de votre prochaine arrivée dans le Midi m’en a dissuadé. Vous pourriez venir habiter à Thorenc qui est un lieu très reposant c’est-à-dire l’inverse de Nice et à plus forte raison de Venise. Malkine nous a tenu compagnie ici jusqu’à hier. Il serait heureux de revenir à Thorenc avec vous. Pour ma part, il n’y a rien que je désire davantage. Voulez-vous y songer, et à la solitude très grande que ce séjour comporte ? Voici l’hôtel où nous habitons, à 3 km de Thorenc et Thorenc (10 maisons) à 30 km de tout. La pension complète 35 f. Écrivez-moi
très affectueusement 1713 – Grand hôtel du château – Thorenc (A. Mar)[48]

Malkine[49] est venu les rejoindre, et a fait office de taxi. Breton tente de faire venir auprès de lui ses amis (délicate attention pour les petits porte-monnaie de ses amis : il indique le prix de la pension complète à l’hôtel.

Il est difficile de déterminer quelle est l’« aventure » de Leiris : ce ne peut être une allusion aux effets physiques du banquet Saint-Pol-Roux, où Leiris a été passé à tabac par la foule pour avoir crié « Vive l’Allemagne ! » ; il se dit dès fin août complètement guéri [50]. Est-ce une allusion à son mariage avec Louise Godon ? Breton, Malkine et Simone sont venus leur rendre visite à la demeure des Kahnweiler où ils vivent avec le couple Masson. Il serait malvenu pour Breton de blâmer le mariage, bien qu’il ait pu ne pas apprécier la nouvelle épouse (ce que rien ne confirme). La dernière possibilité serait deux articles (sur Miró et Picasso) parus en juillet dans The Little Review, que le groupe lui reprochera en novembre.

Desnos vient, rejoint par Morise, Jacques Viot et par Janine, la sœur de Simone. La fin des vacances est dévolue aux loisirs et à la pêche aux écrevisses. Après leur départ, c’est toujours de Thorenc que Breton conçoit le n° 5 de La Révolution surréaliste. Par l’intermédiaire d’Éluard, il demande à Desnos un projet de couverture. Comme l’écrit Simone (qui tient la plume) à Éluard : « Il est persuadé que Desnos en s’efforçant un peu doit pouvoir [leur] en donner une et suggère de le lui demander [51]. » Le 7 septembre, réponse d’Éluard : Desnos propose une photographie de ceinture de chasteté. Breton balaie l’idée d’un revers de main : « Il faudrait que je voie longuement Desnos. (Naturellement pas de ceinture de chasteté ; il ne s’agit plus de plaisanteries, même surréalistes [52].) » On trouve cependant dans le n° 5 deux poèmes de Desnos et Le Paradis perdu (présentation des textes d’un autre « facteur Cheval », Ulysse Préchacq). La couverture prendra la forme d’une collection de numéros d’anciennes revues surréalistes, sous-titrée « Le passé ».

La collaboration continue, régulière : « Poèmes à la mystérieuse » dans le n° 6, une lettre à Pierre Millet ; Breton lui envoie une carte postale du 1er janvier 1926 d’Amsterdam.

Le 14 août 1926, Breton se trouve à Quiberon, dans le Morbihan. Il transmet à Desnos son adresse à partir du 16 (« Gavarnie, Pyrénées »), et lui demande des notes pour le n° 8 de La Révolution surréaliste (décembre 1926) :

Très cher ami, je vous communique mon adresse provisoire à partir du 16 août (Poste restante Gavarnie Hautes Pyr). Vous serez très très gentil de m’écrire ce qui se passe, si peu qu’il se passe, de m’envoyer des textes importants, y compris des notes pour la R.S., de dire où en est l’impression des papiers.
Comment allez-vous ? Viendrez-vous dans le Midi ? De ce côté ou d’un autre ?
Très affectueusement…[53]

Desnos a répondu, probablement. Breton lui écrit le 20 août :

Mon très cher ami, n’avez-vous toujours pas eu de réponse de Séverine ? N’oubliez pas de m’en faire part, n’est-ce pas ? Et Germaine Berton, n’avez-vous rien pu apprendre sur elle ? N’avez-vous pas pu intéresser « Paris-Soir » à son sort ? Que devenez-vous avec la rédaction de ce journal ? Et votre atelier ? L’article sur la peinture surréaliste est-il terminé et savez-vous quand il doit paraître ? Répondez-moi à tous ces sujets, je vous prie.
Avez-vous des nouvelles d’Yvonne Georges ?
De mon côté les choses ont l’air de s’arranger encore une fois tant bien que mal.
Bien sûr que j’y ai mis du mien.
Envoyez-moi les épreuves du cliché et des textes de toutes sortes
À vous…[54]

Desnos semble avoir promis à Breton un article sur « Séverine » (née Caroline Rémy en 1855), grande militante anarchiste, journaliste et féministe engagée dans les luttes politiques antiracistes de gauche [55]. Cette suffragette de choc militait encore en 1925 et disposait d’un grand ascendant moral. De sensibilité anarchiste, en veine de politiser le mouvement, Breton ne peut qu’être intéressé par une telle rencontre ; en outre, Desnos a fréquenté des milieux anarchistes dans sa jeunesse et semble la personne idéale pour ce travail.

Desnos était journaliste à Paris-Soir, et avait consacré des articles à divers sujets d’actualité (par exemple l’héroïne[56]), ou fait des portraits de peintre. Germaine Berton était à l’affiche du premier numéro de La Révolution surréaliste, ce qui explique la demande ; elle avait pourtant peu de chances d’aboutir. Berton avait tout de même tué Marius Plateau, le secrétaire de la Ligue d’Action Française…

On notera le ton quelque peu militaire de Breton lorsqu’il en vient à lui demander un « compte rendu » de ses dernières activités. Cette surveillance trahit une inquiétude : Breton sent que Desnos acquiert de l’indépendance. L’atelier de la rue Blomet, dans lequel Desnos vient d’emménager, est au cœur d’un quartier de peintres et de jeunes gens de la bohème (Prévert, Baron, Masson entres autres). Breton n’aime pas la licence, la drogue, surtout et tout ce qui échappe à son contrôle ; il voit donc ce déménagement dans le petit clan autonome, groupe dans le groupe, d’un mauvais œil.

L’article sur la peinture surréaliste ne peut, chronologiquement, qu’être celui publié dans le huitième numéro de Cahiers d’art, en 1926. Breton a de quoi s’inquiéter ! Si l’article de Desnos loue plusieurs peintres, son auteur refuse de dire « pourquoi » une peinture est surréaliste. Selon lui, un vrai surréaliste « ne vous dira pas pourquoi une peinture est surréaliste » (et ce après trois livraisons du Surréalisme et la peinture) ; il fait l’éloge de Chirico, quand bien même Breton eût mis « cinq ans à désespérer de Chirico [57] » et de ses « ridicules copies de Raphaël, ses Tragédies d’Eschyle, et tant de portraits à menton fuyant et à vaine devise latine ». Premières pulsions hérésiarques…

 

III. « Un ton persécuté qui devient de plus en plus sa manière » : une distance grandissante.

Dès la fin de 1926, la distance va s’accentuant. Outre l’affaire de la rue Blomet, c’est aussi l’ensemble des décisions journalistiques de Desnos qui agace Breton. Lui-même devient paradoxal : il lui demande d’écrire sur Yvonne Georges, et publie en effet « À la mystérieuse » (La Révolution surréaliste, n° 6) ; cependant, un manuscrit de Desnos, « Yvonne », conservé par Breton, n’est pas publié [58]. Ajoutons que le poète n’a pas participé aux réflexions sur l’engagement communiste. Dès lors, lassé, Desnos semble s’écarter du surréalisme orthodoxe tout en nourrissant une secrète rancœur envers son fondateur.

 

a. « On fait ce qu’on peut » : coupable absentéisme

À la fin de 1926, le rapprochement avec le groupe Clarté a entériné le désir d’une grande radicalité politique ; la question de l’adhésion au parti communiste devient pressante. Le 4 décembre 1926, une réunion est décidée à la rue du Château.

Par un pneumatique, Breton convoque donc son « cher ami », dont la « présence [est] absolument indispensable à [la] réunion demain Samedi soir 9 h rue du château ». Il conclut : « En hâte. Pardon [59]. » À la réunion, Desnos n’est pas présent ni tenu pour absent. Il est facile d’expliquer une telle absence : le 23 novembre, une autre réunion s’était tenue au café Le Prophète, où Desnos avait déclaré ne pas pouvoir réduire la révolution surréaliste à la révolution politique.

Comme le note Anne Egger, l’autocritique de Desnos égrène les motifs de sa future excommunication. Sa peur de perdre sa spécificité, la crainte de l’enlisement, son éloge de l’amour, la conscience de la mission poétique, la crainte de passer pour un intellectuel pontifiant, autant d’obstacles irrémédiables : il a toujours refusé de participer à une activité politique, et insiste sur les « lacunes du groupe » sur le plan révolutionnaire[60].

Loin de se défendre, Desnos s’accuse : il participe à un journal « petit-bourgeois », il publie des textes surréalistes, et ne pourra garantir son entrée au P.C. faute d’une conformité de caractère et de connaissances marxistes. L’aveu d’avoir passé une année à aimer une femme, important d’un point de vue surréaliste, rentre peu dans le cadre d’une discipline communiste. Desnos a en outre écrit un article à Paris-Soir sur l’héroïne (« ma muse exigeante »), qui n’a pas eu l’aval de Breton. Conscient de ne pouvoir être un bon militant, Desnos rend impossible sa participation (« refus de sérieux ») ; il a cependant la malice de se dédouaner : malgré ses dires, il se dit « prêt à collaborer », ce qu’on imagine difficilement. De toute façon, en refusant de venir le 4 décembre, il invalide sa bonne volonté : c’est le début de la rupture. Desnos est de ceux qui font passer l’exigence poétique au-dessus de tout. Comme le note Anne Egger, Robert est assez proche de Soupault, qui sera exclu avant la fin de l’année : lui aussi avait refusé l’engagement communiste. En mai, devenu rédacteur à Paris-Journal, organe de l’anarchiste Eugène Merle, Desnos ne participe pas à la brochure Au grand jour, où Breton, Aragon, Péret, Éluard et Unik clament leur adhésion au parti communiste. En août, « loin de la foule déchaînée », il « compose chastement » The Night of the Loveless Night, « auprès du soleil, comme les astrologues », dans une tranquille indifférence envers la chose politique.

On trouve cependant dans le n° 8 de La Révolution surréaliste, en décembre, une fort lyrique « Confession d’un enfant du siècle ». Desnos reste donc surréaliste, alors même que le surréalisme évolue vers l’action politique. Ce ne sont donc pas deux hommes qui s’affrontent : ce sont deux versions, deux visions du surréalisme, deux gloses de l’automatisme, comme le montrera le Troisième Manifeste.

 

b. « Griefs […] et accusations […] d’un ordre assez objectif pour que je vous prie de vous en expliquer publiquement. » Vers la rupture ?

Desnos se sent exilé, ou du moins mis en minorité. Il l’est en effet sur plusieurs points : la visée de réalisations concrètes, l’abandon de l’automatisme, du dessin ; en aparté Desnos se plaint même de l’incurie de Breton. Agacé, Breton le convoque le 17 janvier 1927 :

Mon cher ami,
les griefs que vous avez contre moi et les accusations que vous portez sont d’un ordre assez objectif pour que je vous prie de vous en expliquer publiquement. Comme d’autre part, le rendez-vous que je vous avais demandé avait un tout autre objet que cette explication [il devait s’agir d’Hélène Smith], voulez-vous que nous nous rencontrions seulement mercredi à 8 h 45 précises rue du Château, où je convie par la même occasion Aragon, Jacques Baron (s’il est de retour), Duhamel, Éluard, Ernst, Hoorerman, Leiris, Morise, de Massot, Malkine, Naville, Noll, Péret, Prévert, Stern, Tanguy, Tual, Unik. Nous étudierons les possibilités de continuation de La Révolution surréaliste.
Je compte absolument sur vous
Votre ami…

Nulle information sur les raisons de cette dispute, mais il semble bien que le persiflage de Desnos ait fort déplu. Breton et Desnos devaient s’entretenir d’Hélène Smith[61], mais le rendez-vous sera consacré aux médisances du second. Marguerite Bonnet note qu’à cette époque une certaine tension s’instaure dans leurs rapports. Bel euphémisme : c’est le début de complications qui s’échelonneront toute l’année ; l’incident a eu lieu deux mois après la réunion d’autocritique ; Breton vient d’entrer au PC le 14 janvier 1927, après trois sessions d’examens très difficiles, lesquelles peuvent expliquer le ton agacé. En août, alors qu’il est en train d’écrire Nadja au manoir d’Ango, Breton écrit à Desnos :

Mon cher ami, êtes-vous réellement fâché contre moi, vous devriez savoir que je vous aime toujours profondément et que si je ne vous pardonne pas quelque chose, c’est d’en douter. Comment allez-vous et que faites-vous ? Écrivez-moi. N’avez-vous rien à me donner pour le n° 9-10 (double) de La R.S. dont la plus grande partie est déjà à l’impression ? Pourquoi pas ce journal d’une apparition dont vous aviez parlé ? Tout ce que vous voudrez d’ailleurs.
Très affectueusement…

Le « Journal d’une apparition », qui semble évoquer les apparitions nocturnes de la « Mystérieuse » dans l’atelier de la rue Blomet, est publié dans le n° 9-10  de La Révolution surréaliste en octobre 1927. On note l’approche diplomatique de Breton : le rédacteur en chef demande de quoi compléter le sommaire, tout en désamorçant la « fâcherie » de Desnos.

Cette lettre, qui a pu paraître intéressée, n’a pas apaisé la tension entre les deux hommes. Harcelé, dénoncé, convoqué, Desnos a contracté le « vice de Rousseau ». En privé, le 22 août 1927, Breton se plaint de cette susceptibilité à sa femme : alors qu’il n’a que des textes indigents, voire « déficients », et que le numéro promet d’être « peu brillant », Desnos lui écrit « dans le ton persécuté qui devient de plus en plus sa manière [62][…]. »

Sans s’attarder sur la conception de la « sale revue [63] », il faut considérer la formulation : « ton persécuté qui devient de plus en plus sa manière », symptôme d’une attitude ou d’un comportement paranoïaque dont Breton s’agace de plus en plus. Ayant reçu le texte désiré, qui évoque des relations amoureuses et désespérées, Breton répond dix jours plus tard, en marchant sur des œufs :

Mon cher ami, je vous assure encore que vous vous trompez et qu’il n’y a, à ma connaissance, aucune cabale contre vous. Je vous remercie de votre lettre et du très intéressant texte qui l’accompagnait. J’aimerais vous voir dès mon arrivée à Paris, et vous lire quelque chose que j’ai écrit ici et qui ne sera, d’ailleurs, pas encore terminé. Aragon vous envoie son amitié. Ne doutez pas de moi d’une manière qui me ferait de la peine, je n’ai jamais changé d’avis ni de sentiments à votre égard. La vie est morne et idiote, vous le savez comme moi depuis longtemps. Mais je suis et je reste de tout cœur votre ami [64]

Ayant démenti la « cabale » exercée contre Desnos, Breton utilise un ton assez neutre, très en-dessous de son enthousiasme habituel (« très intéressant texte ») et fort éloigné de l’exaltation des débuts[65]. Signe d’élection, il l’invite en tout cas à venir écouter la lecture de Nadja, dont il a composé les deux premières parties durant l’été. Le jour de son retour à Paris, il en fait la lecture devant Masson, Péret et Éluard : Desnos ne vient pas.

 

c. « Pardonnez-moi, vous savez que je ne sais pas ce que je veux. » Une rupture par la fuite ?

Jusqu’à la fin de l’année, Breton remet à plus tard la confrontation. Cette distance motivera sans doute, plus tard, l’accusation de Desnos ; selon Youki, il affirmera : « Cela n’a aucune importance. Ne vous tracassez pas. Breton est fâché avec moi, mais, moi, je ne suis pas fâché avec Breton [66]. »

Les quatre lettres suivantes, en effet, remettent à plus tard la rencontre pour des raisons diverses.

Lundi 20 sept [1927]

Mon cher ami,
Voulez-vous bien que nous remettions à après demain soir mercredi notre rendez-vous. Pardonnez-moi, vous savez que je ne sais pas ce que je veux.
Je viens de passer trois jours à la mise en pages de cette sale revue.
Très affectueusement…[67]

Première excuse : la publication du n° 8 de La Révolution surréaliste, dont il a la charge. La semaine suivante, le mercredi 26 octobre 1927 : la maladie.

Mon cher ami
Impossible vous voir ce soir suis souffrant
Téléphonez-moi et excusez-moi à bientôt
Amitiés…

En novembre, lors d’une rencontre avec Emmanuel Berl pour publier Nadja et le Traité du style dans la collection Salon particulier, Breton s’éprend de Suzanne Muzard. Les amants fuguent le lendemain : voici les retrouvailles reportées sine die. Le 17 décembre 1927, Breton envoie une carte postale de Toulon :

Très cher Ami,
je pense à vous, et vous reverrai sans faute bientôt. Suzanne et moi vous ferons signe un très prochain jour.
Ne m’oubliez pas tout à fait.
Très affectueusement…

De retour à Paris mi-décembre, Breton revoit sans doute Desnos ; Nadja, publié en mai, donne une évocation très vivante du poète, qui rappelle leur relation sur deux points : surréalisme « pur » des Rrose Sélavy lors d’un long passage sur les sommeils, et « rendez-vous que, les yeux fermés, Desnos [lui a] donnés pour plus tard avec lui, avec quelqu’un d’autre ou avec moi-même, il n’en est pas un [qu’il se] sente encore le courage de manquer, pas un seul, au lieu et à l’heure les plus invraisemblables, où [il n’est] sûr de trouver qui il [lui a] dit.[68] »

Celui-ci est crédité d’un don de vision, « valeur absolue d’oracle ». Message voilé ? Breton évoque les rendez-vous à venir. Est-ce une manière de réparer la faute ? Ou de s’excuser ? De proclamer à nouveau son attachement et sa confiance dans le surréalisme que lui propose son ami ? En revenant sur ces sommeils et en donnant à leur auteur une place de choix parmi les « coïncidences merveilleuses » qui scandent la première partie de Nadja, nul doute que Breton a senti sa dette et mesuré la puissance du souvenir sur lui : tout peut recommencer.

 

d. « Le genre de rapports surannés que vous entretenez avec moi » : la rupture ?

En février, Desnos intègre une mission de la presse à La Havane en tant que journaliste ; à son grand plaisir, il est rapidement reconnu comme le « poète surréaliste [69] ». Il fait la rencontre de l’Amérique latine, d’Alejandro Carpentier (qu’il ramène dans ses bagages en France) ; il se prend de passion pour les écrits et la musique de ses nouveaux amis. La liberté de ton et le mouvement révolutionnaire sud-américains (lequel échappe aux griffes du PC) renforcent sa défiance envers la discipline et le changement politique du groupe ; lorsqu’il rentre en France, en avril, à peine est-il arrivé qu’une première altercation survient.

Youki, alors l’amante de Foujita, a découvert le groupe par un exemplaire de La Révolution surréaliste ; elle décide de rencontrer ces jeunes explorateurs du « merveilleux moderne », dont elle a lu tous les ouvrages. Après sa visite à la galerie surréaliste, Marcel Noll devient son amant. Survient Desnos, « garçon mince, aux cheveux plats », au rire agaçant. Il lui montre le jeu de l’araignée, et en revendique la paternité. Le lendemain, elle raconte la scène à Breton, qui la trouve « inadmissible » et écrit sur le champ « une lettre d’engueulade ». Comme Youki tente de désamorcer l’incident, Breton déclare que « c’est beaucoup plus important que ce [qu’elle] [croit][70] ».

De fait, Youki ne ment pas. La lettre de Breton est très sèche – mais sa réaction n’est pas qu’affaire de galanterie : il s’agit d’un différend global, inscrit dans le temps, qui conclut toute une année d’incompréhension.

3 avril 1928.

Mon cher ami,
Je ne vous ai guère vu depuis votre retour mais j’ai assez entendu parler de vous.
Une histoire qu’on me rapporte au sujet d’une araignée en papier (ce n’est rien, n’est-ce pas, une araignée en papier) une autre qui met en cause Marcel Noll et moi-même de la manière la plus désobligeante, la manière dont vous parlez du travail qui me déplaît, le genre de rapports surannés que vous entretenez avec moi, toutes sortes de choses regrettables sur lesquelles j’ai voulu passer en fonction de l’affection sans égale que je vous ai portée, m’obligent à rompre toute relation avec vous.
Croyez que j’en suis très triste mais faites-moi l’honneur de croire aussi que je suis seul à décider d’une chose aussi grave (pour moi) [71].

Quelles sont ces histoires ? Tout d’abord, Breton pointe l’absence de Desnos auprès de lui depuis son retour ; à cela s’ajoutent l’affaire de l’araignée, et le cocuage [72] de Noll. En outre, Breton évoque sa propre personne. Pourquoi ? On peut supposer qu’en sous-main, Desnos se plaignait de son attitude, d’où ces rapports « surannés » (comprendre : dont la politesse n’est qu’une façade, et sans réelle affection). Jouant le chantage, Breton annonce avoir passé l’éponge sur un certain nombre de méfaits, au nom de l’affection passée. Quels sont-ils ? On peut dénombrer :

  • Le refus du communisme
  • La participation à Paris Soir puis Paris Journal
  • L’alcoolisme (réel ou non), auquel s’ajoute la fréquentation épisodique de la drogue
  • Les accusations de cabales
  • Son alliance avec le parti de Simone Kahn après le divorce
  • « La manière dont vous parlez du travail qui me déplaît » : allusion sans doute au journalisme, mais aussi les concessions faites au travail alimentaire de manière générale [73].

Mais ces concessions le mettent en position de majesté : son pardon demande une soumission et des excuses (on notera l’incise perfide : « une chose aussi grave (pour moi) »). Desnos n’a pas répondu, jugeant sans doute la réaction disproportionnée (mais on ne peut pas exclure une réponse de Desnos : encore une fois, cætera desunt[74]. Pour Polizzotti, Breton refuse de voir Desnos avec une autre femme qu’Yvonne Georges (ce qui est peu probable, car Desnos a connu d’autres femmes avant Youki) ; toujours selon Polizzotti, Breton ne peut en outre tolérer qu’un des membres du groupe fût trompé, comme lui trompait Simone avec Suzanne : c’est l’idée même d’amour absolu unique qu’enfreint Desnos par son attitude, d’où sa réaction. Breton avait une certaine affection pour Noll, qui lui était tout dévoué. L’hypothèse ne suffit pas à justifier la rupture. C’est plutôt la somme des incompréhensions et de muettes rancœurs qui a provoqué cette réaction. D’où une reprise de Breton, le 6 avril :

Mon cher ami,
Chaque fois que je vous ai vu ces derniers mois j’ai tout fait, j’ai conscience d’avoir tout fait pour être le plus moi-même et par là vous amener à être le plus vous-même. Rappelez-vous : depuis longtemps, au contraire de ce que vous dites, c’est moi qui vous parle presque seul, il n’est rien que j’aie eu à cœur, dont j’ai eu à cœur, dont j’ai laissé passer une occasion de vous entretenir. En avez-vous fait toujours autant ? Si nos rencontres ont été rares, vous l’avez attribué vous-même au peu de goût que vous aviez de me trouver avec tel ou tel. Vous savez que moi je ne puis vivre seul. Mais chaque fois que vous êtes venu, je me suis arrangé pour que vous ne trouviez que moi. Je prétends encore une fois avoir toujours cherché à entretenir avec vous les rapports humains les plus véritables, dans la mesure où la fatigue et divers dégoûts que vous partagez le permettent.
Vous savez que j’ai toujours eu un besoin terrible de vivre avec les gens et particulièrement avec vous. Sorti de là, je perds de vue. Je me fais une raison de l’absence et je ne vous apprends pas ce que peut être une telle raison.
Si vous en avez le temps et le moindre désir, venez donc me parler ou donnez-moi rendez-vous quelque part. Je vous dirai bien volontiers de quoi je me suis ému et à quoi j’ai obéi en vous écrivant l’autre jour. Ne feignez pas de croire que j’ai changé d’opinion sur le travail, ni qu’il eut suffi d’un propos même injuste sur Noll pour que vous m’apparaissiez changé du tout au tout. Il y avait la manière dont divers propos avaient été tenus, pour une fois c’est très sérieux. Il n’y avait à coup sûr pas idée de calomnie chez ceux qui me les rapportaient. Ne dites pas qu’il ne faut rien écouter. Il faut écouter au contraire et dissiper tout ce qui est dissipable. [sic]
Je n’ai été victime d’aucune fluctuation sentimentale à votre égard. En vous revoyant l’autre jour, j’étais vraiment très heureux. Mais vous êtes tout de suite retourné au loin [75].

Cette belle lettre de conciliation, qui semble avoir eu son effet, est fermement charpentée en quatre étapes : tout d’abord, Breton assure avoir toujours gardé du temps pour la venue de Desnos ; de l’aveu même de Desnos, ce sont les connaissances de Breton qui l’ont rebuté. Pour répondre à l’individualisme de son ami, Breton fait profession d’humanité. Il lie encore une fois les sentiments de Desnos aux siens, et essaie de le ramener dans le giron commun. Ainsi, en dépit d’une apparence de brouille, ils apparaissent toujours fermement unis. Enfin, il lui offre la possibilité de venir le lendemain, sans rancœur. Par là, Breton n’a rien cédé, a avoué son mouvement d’humeur, a rejeté sur Desnos l’accusation, et a rehaussé l’importance d’un événement à tout prendre futile : « cette fois c’est très sérieux. » Somme toute, Breton ne « lâche rien », et renforce même son autorité – ou du moins le croit-il. La lettre finit sur un grief, évoqué de manière presque amoureuse : « Vous êtes tout de suite retourné au loin », et qui rejette encore la faute sur Desnos.

La défense de Noll, on le voit, reste très périphérique : Noll lui-même n’a pas les faveurs du groupe. Éluard le 17 octobre écrit à Joë Bousquet :« Vous a-t-on prévenu des infamies (et la lâcheté) du sieur Noll ? Ceci dit pour qu’il n’abuse pas de votre ignorance. Il est très désagréable d’être méprisé, bafoué, escroqué [76]. » Plutôt qu’un reflet de l’autoritarisme déplacé de Breton, le conflit était surtout prétexte à un règlement de compte.

 

IV. « […] Ces vieilles maîtresses dont la puissance tient plus à l’habitude qu’à l’amour qu’elles inspirent. » : Fin de partie

a. « Que devenez-vous ? N’avez-vous vraiment plus rien, mais plus rien à faire avec moi ? » : derniers accents désespérés

Passées ces excuses, un étrange jeu du chat et de la souris débute : Breton esquive la confrontation pendant plusieurs mois et cela dès le 9 avril :

Cher ami,
Excusez-moi de ne pouvoir être libre cet après midi
affectueusement
André Breton[77]

Idem le 20 avril :

20 avril 28

terriblement fatigué. Très bas. Pardonnez-moi. Bien affectueusement
Breton[78]

Concédons que les difficultés sont multiples à ce moment : incompétence de Noll, qui multiplie les bévues à la galerie ; absence de Suzanne Muzard, partie avec Emmanuel Berl ; amateurisme de la centrale (voir lettre du 8 mai) : autant de soucis qui détournent Breton de retrouvailles qui ne pourront qu’être douloureuses.

En juin, la situation ne s’est pas améliorée ; si Breton a revu Desnos, ils n’ont pu discuter en tête à tête ; dans une lettre à Simone, le 16 juin 1928, il exprime une franche lassitude quant à ses nouvelles manies :

À part cela, beaucoup de choses ne vont pas mieux. Ne voilà-t-il pas que Desnos est venu me confier hier qu’il était amoureux fou de Youki, que pour lui il ne s’agissait plus aucunement d’Yvonne George ! Il explique cela par les Y des prénoms. Un Y ne suffit pas à former une flèche (Y) mais 2, oui, et cette flèche ne peut traverser qu’un cœur qui est le sien. Il s’est battu avec Noll l’après-midi. Il dit être sûr que c’est lui que Youki aime. Il est d’ailleurs complètement fou (déjà il croit l’aimer depuis plus d’un an, l’avoir aimée bien avant que Noll la connût, et tout ce qu’il a écrit est prophétique et il continue à prophétiser. Il annonce qu’il se réveille d’un long somme et qu’on va bien voir. Il va recevoir des coups de revolver qui ne l’atteindront pas grièvement mais qui lui laisseront une blessure au téton à l’endroit du cœur). Tu juges à peu près [79]

De même, deux jours plus tard, il écrit à Éluard que « Desnos et Noll [sont] toujours assez sérieusement aux prises », et qu’il « ne sait trop ce qui en résultera (18 juin)[80] ». Sans doute lassé, il évite Desnos par un « pneu » :

Cher ami pardonnez-moi fatigue extrême, fièvre, etc. Croyez. C’est très vrai.
Affectueusement [81]

On notera la précision « c’est très vrai » qui laisse entendre que Desnos pourrait croire à de la simulation. Fin juillet, Breton lui écrit depuis l’île de Sein, où il se trouve avec Suzanne :

Alors c’est fini ?
Vous disiez que rien au monde ne saurait nous fâcher. Je le croyais aussi.
Je pense vous avoir exprimé directement et indirectement en toutes occasions mon affection. Il me semble que toujours vous avez pu compter sur moi. S’il est une chose sur quoi les pires remous n’ont rien pu, c’est cela, me dis-je quelque fois avec un peu d’amertume. Est-ce que pour vous ce n’est plus rien ? Vous me deviez au moins de me le dire, n’est-ce pas ?
Que devenez-vous ? N’avez-vous vraiment plus rien, mais plus rien à faire avec moi ?
Votre ami…[82]

Le 28 août 1928, Desnos dédicace à Breton La Place de l’étoile, drame en neuf tableaux. On le retrouve, une dernière fois : le 16 janvier 1929, pour une soirée consacrée aux cadavres exquis.

b. « Je me refuse à accepter des mots d’ordre et une discipline par trop arbitraire »

Cette année-là, Breton prévoit un grand débat sur les positions individuelles des membres du surréalisme et l’élimination des éléments qui ne souhaitent pas faire cause commune – les journalistes et les littérateurs, en un mot les spécialistes, étant les premiers visés. Le 12 février 1929, une circulaire est envoyée aux surréalistes, aux sympathisants et aux membres des revues Clarté, L’Esprit, Le Grand Jeu, les réponses étant attendues pour le 25 février : les questions portaient sur la nécessité de restreindre l’action intellectuelle à une portée individuelle, et la possibilité d’une action commune.[83]

Sans doute Desnos n’a-t-il pas répondu car Breton éprouve le besoin de le relancer le 10 mars 1929 [84]. Desnos a rejoint le groupe de Documents, revue à laquelle il collabore à partir de septembre 1929 ; il a aussi écrit dans la revue Bifur une chronique « Les mercenaires de l’opinion » et écrit récemment des poèmes d’apparence classique[85], repris dans Corps et biens. Il ne vient pas, mais il écrit, et sa réponse est assez éloquente : elle fait l’apologie d’une position solitaire, étalage d’un cynisme désabusé (très contre-révolutionnaire) et surtout le refus de toute « discipline », un mot qui obsédait les surréalistes depuis qu’ils voulaient entrer au Parti Communiste Français. Revendiquant le « droit à la solitude (…) imprescriptible », en plein « ratage absolu » (sentimental et professionnel), il refuse toute activité commune, tout en montrant un total mépris pour toute activité « littéraire ou artistique ou anti-littéraire ou anti-artistique ».[86]

La nouvelle vie, agitée et libre, de Desnos avec Youki, ses nouveaux intérêts, son refus de l’engagement communiste, et surtout de la discipline bretonienne, avec ce qu’elle induisait (présence quotidienne, soumission des textes au regard des groupes, participation aux enquêtes, pureté morale) créent une distance irrémédiable. On ne le verra donc pas dans le dernier numéro de La Révolution surréaliste, quand bien même il eût été publié dans tous les autres numéros. Le travail de Desnos est ailleurs : à La Gazette de Paris il donne une chronique de disques, de cinéma. Il désire, selon Anne Egger, « apporter à la critique de disques un esprit large, éclairé, varié, et le point de vue le plus moderne et le mieux dégagé de toute littérature ». Dans ces conditions, il préserve son « droit absolu à la solitude », et ne vient pas.

 

c. « Que faites-vous ? Que vous arrive-t-il ? »

Durant cette année-là, les rapports entre les deux hommes sont presque inexistants, si ce n’est The Night of the Loveless Nights dans le numéro spécial de Variétés évoqué supra. Breton lui écrit cependant deux cartes postales lors d’un voyage à l’île de Sein avec Suzanne Muzard. La première date du 22 juin 1929 :

Très affectueux souvenir[87]
Suzanne & André Breton

La seconde la suit de peu.

Mon cher ami,
Désolé de vous savoir malade. Donnez-moi de vos nouvelles. Que faites-vous ? Que vous arrive-t-il ?
Vous aimeriez ce pays où je compte encore rester quelques semaines. Les rues ont un mètre de large et une partie du mobilier des maisons ne provient que d’épaves. Il n’y a pas un arbre, pas un cheval. Demain, onze mariages et en voilà pour un an.
Très affectueusement…[88]

Cette dernière lettre est somme toute affectueuse et Breton a en tête la fascination de Desnos pour le vocabulaire du naufrage lorsqu’il évoque ce lieu désert, rempli d’épaves : les onze mariages évoquent sans doute une pratique consistant à marier les futurs époux un seul jour de l’année dans certains hameaux où la plupart des hommes sont marins. Le compliment est paradoxal : Breton sait l’attachement de Desnos aux paysages d’épaves marines (témoin ses titres de recueil) ; en outre, il connaît sa demande de respect de la solitude comme valeur absolue, ergo il lui offre un lieu d’absolue solitude. Cependant, on voit mal comment un tel désert, sans arbre, vie, ni fête hors un mariage annuel, pourrait convenir à Desnos. Les lettres cessent à partir d’ici, mais on peut suivre la suite des échanges entre les deux hommes par déclarations polémiques.

 

d. « Enregistrer la perte de telle ou telle individualité même brillante » : l’excommunication

À la fin de l’année, le Second Manifeste du surréalisme revient sur les difficultés du mouvement à développer une praxis révolutionnaire cohérente, en même temps qu’il liste les traîtres et expose leurs fautes. Issu d’une période fort difficile pour Breton, entre soucis conjugaux et financiers, il fait preuve d’une rare violence et règle en particulier ses comptes avec Desnos, pris à parti unus ex multis dans un long passage où il se déclare prêt « à enregistrer la perte de telle ou telle individualité même brillante », car elle a montré « par tout son comportement qu’elle désire rentrer dans la norme[89]. » L’attaque est forte : Desnos est ramené à son individualisme ; aussi nécessaire fût-il, il ne mérite pas qu’on lui sacrifie la pérennité du mouvement. La violence contre Desnos s’explique par le rôle immense qu’il a tenu, et par la grandeur proportionnelle de sa trahison : « écrire des livres » pour écrire des livres. De là, il s’agit d’étudier les raisons qui ont « empêché Desnos d’être Desnos »[90]. Deuxième moment de l’attaque : juger que l’absence de culture philosophique revendiquée par Desnos cache une peur d’être soi. Après s’être abrité derrière Robespierre ou Hugo, il se replie dans l’activité journalistique, sans suivre le surréalisme dans sa pente révolutionnaire et marxiste. Breton évoque alors rapidement la « méthode individualiste » de Desnos : journaux où Desnos peint avec complaisance (selon Breton) les mœurs des « mercenaires de l’opinion », l’écriture d’alexandrins, enfin le pastiche de Rimbaud, trois preuves d’une « trahison » et d’un refus d’avoir été à la hauteur de sa tâche historique[91].

À force de jouer, à ne pas vouloir être sérieux, Desnos a perdu son intégrité, il a « mésusé » de son pouvoir, au même titre que Chirico par le passé, dont il s’est d’ailleurs rapproché. Suit un récit à charge de l’incident du café Maldoror et du supposé alcoolisme de Desnos, comme preuve d’une décadence morale et artistique. Dès lors, Breton s’interdit « de formuler le moindre jugement sur ce que Desnos écrira. ». Et l’ancien éditeur des sommeils de critiquer le « don verbal, quand il est destiné à masquer une absence radicale de pensée et à renouer avec la tradition imbécile du poète ”dans les nuages” ». Voulant ôter à Desnos sa radicalité, Breton le coupe de la tradition surréaliste (Borel, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, etc.), pour le ramener aux « rimailleurs attardés ». Le génie libre et spontané a fait long feu, pour dégénérer en « coup du Bateau ivre ». Au fond, Desnos n’est pas sérieux : il « veut rire » : le retrancher du surréalisme est une mesure « d’hygiène ».

Pour violente qu’elle soit, la rupture n’est pas sans regret. Un passage assez étonnant lie toujours les deux hommes, comme par une prédestination. Après lui avoir réservé ses attaques les plus rudes, Breton accrédite encore l’hypothèse que Desnos sont prédestinés, unis par une conformité de tempérament et d’expérience presque surnaturelle, comme si le lien mystique des sommeils n’était pas encore rompu. Un tel aveu de déception prend la forme d’une note, et retrouve le ton des « coïncidences miraculeuses » qui ouvraient Nadja : comme dans Les mots sans rides, les deux hommes ont évoqué et commenté les mêmes images à propos d’Abraham Juif. Ainsi, dit-il, les « phénomènes médianimiques vont jusqu’à survivre aux liens affectifs. », l’hypothèse de la transmission de pensée étant exclue[92].

Triple effet de cette note : elle donne plus de poids au geste de Breton, opéré malgré une évidente affinité spirituelle. Elle présente aussi son adversaire comme un érudit de moins bonne qualité, dont il critique « la vulgarité d’interprétation » (il n’est pas impossible, cependant, que cette remarque s’applique aux images elles-mêmes ; la dépréciation persiste). Enfin, elle fait paradoxalement de Breton le seul capable d’apprécier le travail médianimique de Desnos à sa juste valeur : lui n’a pas renié le surréalisme, et il est donc à même de relever, de décrire, de vérifier, ces « coïncidences fabuleuses » que Desnos ne mérite plus. Ce faisant, Breton répond à l’accusation d’avoir oublié le « domaine du merveilleux », propre du surréalisme ; ce « merveilleux » toujours lié en son esprit à l’action révolutionnaire : c’est un double enterrement en grande classe. On notera qu’au mois d’août même, Breton esquissait par lettre une piste de réconciliation : la réaction de Desnos ne peut qu’être plus dure.

 

e. « J’eus un ami sincère : Robert Desnos. Je le trompai. Je lui mentis, je lui donnai faussement ma parole d’honneur. »

La réponse de Desnos, au début de 1930, est des plus violentes ; elle seule égale l’attaque de Breton. Autour de Georges Bataille et du groupe de Documents, un désir de contre-attaquer s’élabore sur une idée de Desnos, selon Georges Bataille. Ce dernier trouve les fonds auprès de Georges-Henri Rivière avant de prospecter pour recevoir des contributions, même si Desnos fait preuve d’ultimes remords (cela ne pouvait que « renforcer le crédit » de Breton)[93].

L’attaque de Desnos est la plus précise, car elle vise le projet de Breton en lui-même. Elle retourne même les accusations du Second Manifeste en ramenant le surréalisme à une opération d’auto-promotion ; Desnos reprend même un paragraphe le concernant en le taxant de bêtise. On lit surtout ce reproche de Breton, très symptomatique : « J’eus [C’est Breton qui parle] un ami sincère : Robert Desnos. Je le trompai. Je lui mentis, je lui donnai faussement ma parole d’honneur. » Il ne nous est pas parvenu de pistes permettant d’étayer cette accusation, qui relève (mais avec quelle intensité !) du contexte privé. Dernier reproche, et des plus caustiques : Breton vit de la vente de tableaux : le reproche de « travail alimentaire » s’écroule donc…

Pour répliquer, Breton choisit de comparer la première déclaration de Desnos, en 1924, où il le créditait de recréer une nouvelle « religion », à Un cadavre, qui l’accuse de « puer comme un faisan ». Nouveau reproche d’inconséquence.

La réponse de Desnos augmente d’un cran dans la violence. Le titre (Troisième Manifeste) est extrêmement symbolique ; il confirme l’idée d’une rivalité profonde autour de la définition du surréalisme. Touché, Breton écrira seulement des Prolégomènes à un troisième manifeste, ou non. Desnos conteste l’intégrité de Breton en attaquant toutes les fameuses « relations humaines » dont il se targuait dans ses lettres précédentes. En ajoutant des détails sur son rapport (supposé) à l’argent, il répond à l’accusation de vénalité : « Il est tout de même curieux de constater que les seuls peintres dont il dise du bien sans restriction soient ceux avec lesquels il lui est possible de faire des affaires. » Mais le reproche principal reprend le fil du secret, sous la forme d’une attaque ad hominem sans explicitation mais suffisamment violente pour décrédibiliser sa capacité de leader (trahison, mensonge, lâcheté remplacent fidélité, vérité et le courage) :

J’ai confié, fort de son amitié, un secret à André Breton. Ce secret, il l’a trahi. Cette trahison, il m’a donné sa parole d’honneur qu’il en ignorait l’auteur, puis, plusieurs mois après, il m’a tout avoué, et m’a demandé pardon. Là où l’estime et la confiance n’existent plus, il ne saurait être question d’amitié[94].

Dès lors il est aisé pour Desnos de dévoiler l’hypocrisie de Breton, en retournant tous les arguments, y compris l’alcoolisme, la publication dans des revues petites-bourgeoises, enfin la qualité « d’homme de plume », qui n’écrit qu’en vue d’une situation. En accusant pour finir Breton de croire au surnaturel, Desnos reprend à son compte le concept des « coïncidences miraculeuses », qu’il transforme en fascination pour une réalité seconde. Là s’énonce de manière définitive la différence essentielle des deux versions du surréalisme : une version qui cherche à transformer l’existence, et un surréalisme « d’expression », qui est une réinvention de la parole, et fait fi de considérations politiques, de « discipline ».

Et je proclame ici André Breton tonsuré de ma main, déposé dans son monastère littéraire, sa chapelle désaffectée, et le surréalisme tombé dans le domaine public, à la disposition des hérésiarques, des schismatiques et des athées.

On comprend que face à des attaques si circonstanciées, Breton n’ait pas répondu et soit allé se réfugier avec Char et Éluard à L’Isle-sur-Sorgue. L’absence des lettres de Desnos dans l’atelier de Breton s’explique, selon Étienne-Alain Hubert, par un geste de colère, de dépit face à une attaque touchant aux inquiétudes profondes de Breton : les lettres sont sans doute brûlées. Il faudra la guerre et la mort de Desnos pour que l’amitié, brisée, subsiste dans le souvenir et l’hommage.

______________________________________

[1]« Troisième manifeste du surréalisme », Robert Desnos, [1930], in Œuvres, ed. Marie-Claire Dumas, 1999, p. 484.

[2] Marguerite Bonnet, André Breton ou la naissance de l’aventure surréaliste, [1975] José Corti, 1989.

[3] Anne Egger, Robert Desnos, Fayard, 2007.

[4] Marie-Claire Dumas, Etude de « Corps et biens » de Robert Desnos, Slatkine, 1984.

[5] Marie-Claire Dumas, Robert Desnos ou l’exploration des limites, [1980] Klincksieck, 2000.

[6] Thomas l’imposteur », in Un cadavre [1930], repris dans José Pierre (ed.), Tracts surréalistes et déclarations collectives, Tome 1 1922-1939, Eric Losfeld, 1980, p. 144.

[7] Rencontrant par hasard Youki Foujita dans un café, Desnos présente un jeu surréaliste teinté d’allusion sexuelle en transformant un papier en araignée. Ayant appris l’événement, Breton lui écrit une violente lettre d’admonestation et de rupture (voir infra).

[8] Youki Desnos, Les Confidences de Youki, Fayard, 1999, p. 12.

[9] André Breton, « Entrée des médiums », Les Pas Perdus [1923], in Marguerite Bonnet (éd.), Œuvres complètes, t. I., Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 277.

[10] Robert Desnos, André Breton et alii, « Entrée des Médiums », Littérature, nouvelle série, n°6, 1er novembre 1922, p. 10.

[11] Breton, dans le Second manifeste, notera la disposition aux « puissances des ténèbres » du jeune poète.

[12] Simone Breton, Lettres à Denise Lévy, 1919-1929, Éditions Joëlle Losfeld, 2005, p. 108.

[13] André Breton, Nadja [1928], in OC 1, p. 661.

[14] André Breton, & Paul Éluard, Correspondance 1919-1938, éd. Étienne-Alain Hubert, Gallimard, coll. « Blanche », 2019, p. 87.

[15]Littérature, ns, VIII, p. 8

[16]Littérature, ns, X, p. 24

[17] André Breton & Paul Éluard, Correspondance, p. 90-91, sans date, novembre 1922. E-A. Hubert note : « Michel Sanouillet a cité cette lettre, conservée alors par André Breton, dans Dada à Paris (p. 376) en la datant du 14 novembre 1922 » (p. 90).

[18] BLJD, DSN C 250. Date sur le tampon : 27.11.22, envoyé de Paris central et adressé boulevard Rivoli.

[19] BLJD, DSN C 251.

[20] Mark Polizzotti, André Breton, Gallimard, coll. « Biographies », 1999, p. 213.

[21]André Breton, Entretiens [1952], repris dans Œuvres complètes, t. III, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 483-484.

[22] Lettre consultable sur le site André Breton : https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100592970.

[23] Le numéro 8 de Littérature (février-mars 1922), contient les « Stupra » de Rimbaud.

[24] BLJD DSN C 252.

[25] Desnos à Jean Carrive, 1er mars 1923, repris dans L’Étoile de mer : Cahiers Robert Desnos, nouvelle série, n°9, 2020, p. 41.

[26] BLJD, DSN C 279.

[27] Roger Vitrac, « André Breton n'écrira plus », Le Journal du peuple, 7 avril 1923, reproduit en grande partie dans O.C., I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. p. 1214-1215.

[28] Robert Desnos, Marie-Claire Dumas (ed.), Œuvres, Gallimard, coll. « Quarto », 1999, p. 162-163.

[29] « Nous déambulons par les rues, l’un près de l’autre, mais très séparément. Elle répète à plusieurs reprises, scandant de plus en plus les syllabes : " Le temps est taquin. Le temps est taquin parce qu’il faut que toute chose arrive à son heure. " Il est impatientant de la voir lire les menus à la porte des restaurants et jongler avec les noms de certains mets. Je m’ennuie. » (André Breton, Nadja [1928], in OC 1, p. 710).

[30] Lettre du 1er septembre 1923, reproduite in André Breton, Lettres à Jacques Doucet, Gallimard, 2016, p. 156.

[31] Lettre du 22 août 1923 : « Desnos est décidément un type épatant et, comme je n’envoie pas de nouvelles circulaires, dis-lui que je l’aime infiniment et que je ne cesse pas de penser à lui. »

[32] 16 décembre 1923. BLJD DSN C 253.

[33] 31 janvier 1924. BLJD DSN C 254.

[34] 22 juillet 1924. BLJD DSN C255

[35]Voir RIALLAND, Ivanne. Introduction In : L’Imaginaire de Georges Limbour [en ligne]. Grenoble : UGA Éditions, 2009 (généré le 24 octobre 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/ugaeditions/6155>. ISBN : 9782377471263. DOI : https://doi.org/10.4000/books.ugaeditions.6155.

[36] Robert Desnos, in Michel Sanouillet, Dada à Paris [1965], CNRS Editions, 2016, Annexe 4 : Correspondance, pièce 183.

[37] On le voit traverser la correspondance de Breton de septembre à décembre, soit qu’il attende Breton à la gare de Lyon le 8 septembre, soit qu’il dîne avec Chirico et lui en novembre.

[38] Une lettre de Marcel Sauvage à Desnos, le 11 février 1925, peut être consultée sur le site Breton : https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600101001669.

[39] Pierre Naville, Le temps du surréel, Galilée, 1977, p. 102.

[40] Image disponible sur le site André Breton : https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100337650.

[41] Naville, Le temps du surréel, p. 216.

[42]Ainsi le 6 février 1925 : « Soupault est venu hier à Cyrano. Il s’étonne de ce qui lui arrive : plus je vais, plus ce que j’écris est mauvais. Il se sent tendre à la nullité. » (André Breton, Lettres à Simone, Gallimard, 2016, p. 235).

[43] BLJD DSN C 257.

[44] André Breton, Lettres à Simone, p. 220.

[45] André Breton, Lettres à Simone, p. 223.

[46] Le site Breton reproduit les trois cahiers de prophéties de Desnos : https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100468630, https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100811060, https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100190080.

[47] André Breton, Lettres à Simone, 9 juillet 1925, p. 263.

[48] BLJD DSN C260

[49] Malkine est très proche de Desnos : celui-ci écrira à plusieurs reprises sur sa peinture.

[50] Lettre à Jacques Baron, 26 juillet 1925. In Michel Leiris et Jacques Baron, Correspondance, Joseph K, 2013.

[51] André Breton et Paul Eluard, Correspondance, début septembre 1925, p. 129.

[52] André Breton et Paul Eluard, Correspondance, début septembre 1925, p. 137.

[53] BLJD DSN C 261.

[54] BLJD DSN C262.

[55] Voir les échanges de Desnos et Denise Montrobert dans Marie-Paule Berranger, « Flotter dans la bourrasque », ci-dessus.

[56] Paris-Soir, 11 avril 1926, p. 1 et 3 et 13 avril 1926, p. 1 et 2. Les liens entre Desnos et la drogue sont évoqués dans ce chapitre d’ouvrage d’Emmanuelle Retaillaud-Baljac : « Drogues et création : la fin de l’innocence » (chapitre VII), in : Les paradis perdus : Drogues et usagers de drogues dans la France de l’entre-deux-guerres [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009 (généré le 24 janvier 2023).

Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/126069>. ISBN : 9782753566958. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.126069.

[57] André Breton, Le surréalisme et la peinture [1928], in Etienne-Alain Hubert (dir.), Œuvres complètes, t. IV, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 363.

[58] Consultable sur le site André Breton https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100620750.

[59] BLJD DSN C 263.

[60]Marguerite Bonnet (présentation et annotation), Adhérer au Parti Communiste ? Septembre – décembre 1926, Gallimard & Actual, coll. « Archives du surréalisme », T. 3., p. 34-37.

[61] Bien connue des surréalistes, née en 1881 et morte en 1920, Hélène Smith (née Catherine Elise Müller) était un médium d’importance, admirée par Breton et révélée par le psychiatre Flournoy dans le livre Des Indes à la planète Mars.

[62] André Breton, Lettres à Simone Kahn, p. 288-289.

[63] Lettre à Desnos, 28 septembre 1928 (voir infra).

[64] 31 août 1927. BLJD DSN C266.

[65] « Aujourd’hui Desnos parle surréaliste à volonté. La prodigieuse agilité qu’il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu’il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu’à les fixer./Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s’envolent au vent de sa vie ».André Breton, Manifeste du surréalisme [1924], repris dans OC 1, p. 331.

[66] Youki Desnos, Les confidences de Youki, p. 89-90.

[67] BLJD DSN C 280.

[68] André Breton, Nadja, in OC 1, p. 661.

[69] Youki Desnos, Confidences de Youki, p. 108-110.

[70] Youki Desnos, ibid, p. 89

[71] BLJD DSN C 268.

[72]Le terme est violent, mais Breton l’emploiera sans ironie dans Les Vases communicants.

[73]Ce qui ne manque pas de sel connaissant l’origine des revenus de Breton.

[74]Selon Youki.

[75] BLJD DSN C 269.

[76] Paul Eluard, Lettres à Joe Bousquet, Lucien Scheler (ed.), Editeurs français réunis, 1973, p. 50.

[77] BLJD DSN C 270.

[78] BLJD DSN C 271.

[79]André Breton, Lettres à Simone, p. 310-311

[80] André Breton, Lettres à Simone, p. 313.

[81] 27 juin. BLJD DSN C 272.

[82] 29 juillet. BLJD DSN C 275.

[83] Aragon et Breton, « Petite contribution au dossier de certains intellectuels à tendance révolutionnaire », Variétés, Numéro hors-série « Le surréalisme en 1929 », Bruxelles, 1929, p. III-IV.

[84] Breton lui envoie une lettre le 10 mars 1929 d’après Anne Egger, mais nous ne l’avons pas trouvée. (DSN C 532-535)

[85] En particulier « Sirène-Anémone », « L’Aveugle », « Mouchoirs au nadir », « De silex et de feu », « Le Poème à Florence », écrits entre 1927 et 1929.

[86] Lettre de Desnos, 24 février 1929, citée par Anne Egger, Robert Desnos, p. 394-395.

[87] BLJD DSN C 276.

[88] BLJD DSN C 278.

[89] André Breton, Second manifeste du surréalisme, [1928], OC 1, p. 811.

[90] A. B., ibid, p. 812.

[91] A.B., ibid, p. 812-813.

[92] A.B., ibid, p. 837.

[93]Georges Bataille, repris dans José Pierre (ed.), Tracts surréalistes et déclarations collectives, Tome 1 1922-1939, Eric Losfeld, 1980, p. 144. P. 428-429.

[94] Robert Desnos, « Troisième manifeste du surréalisme » [1930], in Œuvres, p. 484-7.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1-Dessin dans La Révolution surréaliste n°1, p. 28.
1-Dessin dans La Révolution surréaliste n°1, p. 28.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carte postale, DSN C 260
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