Le 5 juin 2025, Claire Vidani et Eric Cénat ont rendu hommage à Robert Desnos, décédé au camp de Theresienstadt le 8 juin 1945, clôturant ainsi les commémorations du 80ème anniversaire de la libération des camps au Mémorial des martyrs de la déportation, 7 Avenue de l’Archevêché à Paris. Dans ce lieu impressionnant de l’île de la Cité où les vers de Robert Desnos se détachent sur les murs, c’est le souvenir de l’amour de Youki et de Robert qu’ils ont choisi de rappeler, des moments heureux à la séparation tragique.
Le public réuni dans l’entrée de la crypte a ainsi pu revivre les heures intenses de la vie de Robert Desnos à travers un choix de ses poèmes : poèmes d’amour pour la Sirène, profession de foi dans le bonheur, les plaisirs de l’amitié et de la bonne bouteille partagée, puis de colère devant la guerre inéluctable et la passivité face à l’occupant ; enfin, poèmes d’engagement contre l’oppresseur et d’espoir envers et contre tout. Le parcours était fort bien choisi, tout était dit dans la voix de poésie tantôt légère tantôt grave, sans pesanteur explicative. La voix de Robert Desnos était portée par Eric Cénat, avec toutes les nuances reflétant l’humeur du moment, sans effet inutile, en alternance avec les mémoires de Youki (issues des Confidences de Youki, publiées en 1957) lues par Claire Vidani qui retraçait les principaux épisodes d’une histoire qui ne fut jamais un fleuve tranquille. « Lecture théâtralisée » annonçait la présentation, le défi a été relevé et la théâtralité rendue par la voix de poésie qui passe chez Desnos de la tendresse et de la fantaisie funambulesque à la sommation éthique. Claire Vidani a rendu justice à Youki dont toute l’acuité et la combativité étaient bien perceptibles.
La projection des photographies de Youki et de Robert à différentes époques de leur vie commune (Youki dans l’atelier de Foujita, portraits de Robert près de Youki, seul ou avec les copains réunis dans l’appartement de la rue Mazarine) soulignait discrètement le fil chronologique du spectacle, tandis que les poèmes « Conte de fée », « Ma sirène », « L’hippocampe » « Mon amour parle-moi », « Une voix » et quelques autres poèmes des jours heureux répondaient aux souvenirs de Youki. Les grands poèmes des jours sombres et du temps de l’engagement dans la résistance – « Ce coeur qui haïssait la guerre », « Le veilleur du Pont-au-Change » « Sol de Compiègne »…– venaient en écho au récit de Youki, évoquant l’arrestation, les démarches près de la gestapo, la dénonciation qui devait conduire Robert du camp de Royallieu près de Compiègne au convoi du 27 avril pour Auchwitz. Le manuscrit de la chanson de l’Hippocampe pour la Sirène laissait à la trace écrite le dernier mot. La voix de Robert Desnos marquée par l’espoir, le désir, l’appel du bonheur partagé résonnait jusque dans les lettres envoyées de Flöha le 4 juin 1944 et le 15 juillet 1944. L’amour y était entendu comme force irréductible, vecteur d’espoir jusque dans les ténèbres. Evitant l’erreur du pseudo « dernier poème » retrouvé dans la poche de Robert Desnos agonisant à Terezin, les comédiens ont préféré faire entendre la sommation poignante du poète, dont l’ « Epitaphe » continue de nous demander ce que nous qui lui survivons faisons de nos jours :
« Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ?
Regrettez-vous les temps où je me débattais ?
Avez-vous cultivé pour des moissons communes ?
Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ? »
Le spectacle, à sa manière, dément les vers conclusifs :
« Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort.
Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps. »
Ceux qui voudraient assister à ce bel hommage rendu à Youki et Robert Desnos ont un seconde chance de l’entendre à 18H le 14 juin à l’espace Andrée Chedid d’ Issy les Moulineaux.
Après le spectacle du 5 juin au Mémorial, la projection d’une sélection de capsules vidéos proposées par les collégiens et lycéens, dans le cadre du Concours national de lecture à voix haute organisé en République Tchèque (label Paris Europe 2025), montrait que par-delà les obstacles de la langue, ces jeunes filles et garçons à des stades divers de l’apprentissage de la langue française, avaient perçu la voix de Robert dans tous ses différents registres. Ils ont lu ou récité en français, mis en scène et filmé leur lecture de « J’ai tant rêvé de toi », « C’était un bon copain », « Couplets de la rue Saint-Martin », quelques Chantefables, et ont rendu par leurs montages et collages surréalistes la fraicheur et la force inspirante de sa poésie.
