Avant-Propos

Avant-Propos

 

Le 23 mai 2022 s’est tenue à la Maison de la recherche de l’Université Sorbonne nouvelle une journée d’étude sur les correspondances de Desnos, dans le cadre d’un travail engagé au sein de l’UMR Thalim sur les correspondances dans les avant-gardes[1]. Une façon de célébrer le centenaire de l’entrée de Desnos en surréalisme, en avant-propos au colloque organisé par Marie Bonnot et Emilie Frémond en octobre 2022 : « Les Arts du sommeil » où l’on rendait hommage aux rêves, aux dessins, graphismes et proférations sous hypnoses, jusqu’aux actuelles explorations artistiques.

Que peut-on chercher en se penchant sur l’épaule des écrivains –d’aucuns diront en regardant par le trou de la serrure– pour relever et commenter ce qui appartient au domaine privé ?  Il ne semble pas que le lecteur assidu des écrits de Robert Desnos, encore moins celui, plus rare, qui consulte les archives des bibliothèques et les catalogues de ventes publiques, puisse découvrir ici quelque secret intime. Comme la plupart des études de correspondance, celles-ci éclairent des circonstances et contextes artistiques, les relations aux milieux littéraires contemporains, plus précisément ici un moment de la formation de Robert Desnos (Marie Bonnot), les choix de vie du poète dans ce qui touche au plus près son œuvre : sa relation à l’autre, l’histoire de ses publications, ses engagements et ruptures (Antoine Poisson).

La lettre présente cette particularité de désigner explicitement son destinataire – quand beaucoup d’autres écrits, qui sont aussi presque toujours adressés, ne le sont qu’implicitement. Ces destinataires gagnent à être connus. Dans le cas des correspondances croisées, elle nous découvre ainsi des figures méconnues comme Jean Carrive, un jeune homme de « province » au caractère bien trempé qui cherche appui près des surréalistes pour s’émanciper –non sans provoquer des réactions familiales… (Marie-Claire Dumas), ou ce peintre très injustement minoré, André Malkine qui entretient, comme André Masson, un dialogue essentiel avec le poète (Damiano de Pieri). Les allusions amoureuses de Claude Cahun et son style d’une casuistique subtile rendent plus complexe et proche à la fois la personne qu’elle fut et que masque partiellement le personnage qu’on lui construit parfois. Les échanges avec quelques passantes de la vie sentimentale de Desnos, et les deux principales destinataires de sa poésie amoureuse dévoilent ainsi la fidélité vécue au mythe poétique de La Liberté ou l’amour !.. et reçoivent d’ À la mystérieuse, du « Poème à Florence », de « Siramour » toute leur ombre portée (Marie-Paule Berranger). Rien d’étonnant sans doute à ce que la lettre et l’œuvre se rencontrent si souvent dans leur formulation-même ou s’éclairent mutuellement, dans cette intrication de la vie et de la poésie qui caractérise Robert Desnos (Silvia Ferrari).

En s’attachant aux modes de fonctionnement, aux logiques récurrentes, aux relations interpersonnelles les correspondances mettent en relief les points majeurs d’une éthique et d’une métapoétique qui s’expose avec parcimonie dans quelques aphorismes publiés, mais se libère davantage dans ces lettres adressées à Eluard ou aux amis peintres. À l’heure de la circulation exponentielle des messages numériques, hâtivement rédigés et dont ne reste nulle trace conservable à moyen terme, les longues lettres de Desnos à Youki, les journaux de bord indexés sur l’humeur du jour, la verve spontanée, l’art du trait, l’humour et la dignité poignants des lettres de guerre et de déportation enrichissent notre connaissance d’un poète qui plaçait la poésie non hors du monde mais au cœur de la vie quotidienne.

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[1] La première Journée d’étude fut consacrée à Blaise Cendrars en janvier 2016. On peut la lire en ligne sur le site Komodo 21.