Vingt poèmes inédits de Robert Desnos (L’étoile de mer, n° 10)

étoile de mer

Le numéro 10 de la nouvelle série de L’Etoile de mer célèbre le vingtième anniversaire du Cahier de l’Association des Amis de Robert Desnos par une salve de vingt poèmes inédits (dont un, considéré comme tel, malgré sa publication posthume en 1949 par Pierre Seghers dans le Robert Desnos par Pierre Berger(Les Poètes d’aujourd’hui,n°16).

Jacques Letertre, en préface, éclaire la provenance de ces beaux inconnus. Ils font partie des quatre cahiers acquis en octobre 2020 lors de la vente Geneviève et Jean-Paul Kahn. En 1940, Desnos entreprend de recopier les poèmes écrits pour la plupart en 1936, dans les conditions qu’il a exposées à la fin d’État de veille en 1943.Il s’agissait en 1936 de rester poète envers et contre les tâches multiples du journaliste et de l’homme de radio qu’il était alors, en s’astreignant à écrire un poème chaque soir.  Parmi les poèmes recopiés en 1940, ont été repérés par Marie-Claire Dumas quatre-vingt-cinq textes inédits. Les vingt poèmes de cette anthologie, présentés dans l’ordre chronologique des cahiers, ont été sélectionnés d’une croix par Desnos comme ceux qui figurent dans « Les Portes battantes » (Fortunes) ou dans État de veille, mais sans avoir trouvé place en recueil avant la mort du poète. Ce petit volume à la présentation soignée constitue donc un apport précieux à la connaissance et contribue à lever un coin du voile sur cette « écriture forcée ». Si, à leur relecture, Desnos juge ces créations « sous contrainte » inégales, en revanche il reconnaît la valeur de l’expérience et distingue d’une ou deux croix ceux des poèmes qu’il juge dignes de ses futurs recueils.

À la suite de ces vingt poèmes, Marie-Claire Dumas propose plusieurs documents d’archives qui situent ces textes dans l’atmosphère des années trente, marquées à la fois par l’élan politique, l’espoir porté par le Front populaire et l’ombre obsédante de la guerre d’Espagne. C’est ainsi qu’on peut lire « Front commun », qui arbore en 1933 le nom du mouvement antifasciste de Gaston Bergery auquel Desnos s’est rallié, puis un compte rendu féroce de l’anthologie de la NRF donné par le poète dans l’organe du mouvement, La Flèche de Paris, « hebdomadaire de combat ». Le tract d’annonce de Numance de Cervantès, mis en scène en mai 1937 par Jean-Louis Barrault, suivi du poème No pasaran écrit la même année illustrent l’engagement du poète, son sentiment de culpabilité face à l’impuissance du lyrisme, son désir de quitter l’écriture pour l’action : « qu’est-ce que je fous ici ? » écrit-il sur le quatrième cahier le 24 juillet 1936.

Viennent ensuite trois articles proposant trois angles pertinents de lecture : dans « Au fil du temps » Marie-Claire Dumas apporte des précisions sur les circonstances d’écriture des documents cités ; Kate Conley met en évidence le corps en mouvement dans un poème construit comme une marche, celle qui porte résolument en avant la poésie et le poète, au seuil d’un « Délicieux présent » redoutablement insaisissable ; Damiano de Pieri enfin décline trois sommations contemporaines des préoccupations du poète « Rêve révélation revolver », et  montre « un mouvement oscillant entre le désir d’évasion et les injonctions du présent ».

Ces vingt poèmes et les cahiers dont ils témoignent ouvrent de nouveaux sujets de réflexion : le poète s’est-il lassé de l’expérience d’écriture sous contrainte ? la confrontation de la poésie aux événements tragiques de la guerre d’Espagne aurait-t-elle rendu dérisoire, passagèrement, l’écriture quotidienne ? Quel rôle joue la mise au net de ces textes en 1940 dans la résolution de passer à l’action ? Ces vers, alors, prennent tout leur sens : « Le gosier sec et les tempes mouillées comment/Crier hurler dire le simple mot de passe ?/Mais secouer la grille tendre le poing et serrer la gorge/C’est encore possible. » ou encore cette promesse répétée : « Mais je serai du bon côté/ Avec les camarades », « Et je serai avec les amis quand il faudra ».

Le choix effectué pour l’anthologie fait apparaître fortement le lien du poète à l’actualité politique, en même temps que l’attachement aux « petites formes » d’une poésie qui se souvient des couplets des chansons d’enfance, marches populaires et rengaines.On retrouvera ici les escaliers et les cours des rues populaires du cœur de Paris chères à Desnos, des personnages de la famille de Folfanfifre comme Jean Bonhomet ou ce pirate essoufflé reconverti en employé, de banque ou de commerce, « un homme, un homme esclave, un dormeur éveillé » qui évoque le sort auquel le poète a échappé (ou veut échapper). Sans ignorer l’appel baudelairien du gouffre, Desnos se défend des « états d’âme » paralysants : « Non je ne hais pas le néant vaste et noir/ Je ne recueillerai pas les vestiges du passé/ Mais mon cœur n’est pas triste. »

M-P B